mardi 3 décembre 2019


En exclusivité universelle : La Reynière à Paris, en décembre 1794. Voulez-vous savoir ce qu’il a fait au jour le jour ? Eh bien vous allez être déçu, car vous ne le saurez pas. Et voilà pourquoi…


En ce mois de décembre 1794, comme tous les mois de décembre, La Reynière est très occupé. Tellement qu’il n’a pas le temps de tenir son journal. 

En effet, le journal se résume à :

Du mercredi 3 décembre au jeudi 1erjanvier 1795 

Séjour à Paris  - vie extrêmement active - jusqu’au 28 décembre courses multipliées dans Paris, divers achats et ventes, halle, plusieurs dîners donnés-  Indisposition qui me fait aliter le 29 décembre pendant 7 à 8 jours


La Reynière nous l’expliquera plus tard : les préparatifs de Noël sont en fait très très prenants. 

D'une part, le Réveillon n’est pas une mince affaire expédiée d’un coup de cuiller à pot. Alors que la littérature abonde en récits de Noël truffés références bibliques, La Reynière vous propose un aparté désormais historique, avec son sujet de prédilection, les méfaits de la Révolution française en ce domaine comme en d'autres, en versant une larme sur les charcutiers.

Nous laissons aux érudits le soin de déterminer l'époque précise à laquelle l'usage des Réveillons s'est introduit parmi les Chrétiens ; et, nous renfermant dans notre objet, nous nous bornerons à observer que ce repas a cela de particulier et même d'unique, que ce n'est ni un déjeuner, ni un dîner, ni un goûter, ni un souper, ni une halte : c'est un RÉVEILLON, ce mot dit tout; aussi ne le fait-on qu'une fois par an, dans la nuit de Noël, c'est-à- dire, le 25 décembre entre 2 et 3 heures du matin.

Tant que les Jacobins et le Directoire, qui leur a succédé sans les faire oublier, ont régné en France, la Messe de minuit y était interdite ; le Réveillon s'y trouvait par conséquent proscrit, au grand regret des rôtisseurs et des charcutiers, qui n'ont pas été des derniers à se réjouir de la Révolution du 18 brumaire de l'an 8, qui, en permettant à la Religion de renaître, a, par une conséquence nécessaire, ressuscité tout d'un temps le règne des Mœurs, du bon ordre et celui des Réveillons.

Et il continue sur un des bienfaits de la religion catholique : la longueur des cérémonies religieuses de la nuit de Noël, qui favorise, paradoxalement, le 7èmepéché capital, la gourmandise.  

Ce repas, qui mériterait plutôt le nom de restaurant que celui de Réveillon (car il y a longtemps qu'on est levé, et l'on n'a pas ordinairement envie de dormir lorsqu'on le commence ), a été imaginé pour réparer les forces des fidèles, épuisées par une séance de quatre heures à l'Église, et rafraîchir leurs gosiers fatigués à force d'avoir chanté les louanges du Seigneur. Car la grand'Messe de minuit est précédée des trois nocturnes de Matines, du Te Deum, et suivie des Laudes, ce qui compose une suite de treize psaumes et de trois cantiques, sans compter les antiennes, les hymnes, les versets et les répons, le tout chanté à plein chœur, et à l'issue desquels on ne peut s'empêcher de bénir l'instituteur des Réveillons ; car rien ne procure autant d'appétit, qu'un long exercice des poumons, sanctifié par la prière.
Source : Almanach, 1èreannée

Voilà qui nécessite une présence quotidienne aux Halles, pour acheter et aussi vendre, car on sait maintenant que La Reynière se faisait épicier pour arrondir ses fins de mois et préparer sans trop le savoir sa connaissance du Paris gourmand – ce qui fera le succès de ses Almanachs des Gourmands, et plus particulièrement les Itinéraires d’un Gourmand dans les rues de Paris.

Et voici, dit de manière abrégée, en quoi consistait le repas du réveillon :

Une poularde au riz, à laquelle il est permis cependant d'être un chapon, est le milieu obligé de ce repas nocturne, et elle y tient lieu du potage, qui n'y paraît jamais. Quatre hors-d'œuvres, composés de saucisses brûlantes, d'andouilles grassouillettes, de boudins blancs à la crême, et de boudins noirs bien dégraissés, lui servent d'acolytes. Le tout est relevé par une langue à l'écarlate, ou plutôt fourrée, comme chacun doit l'être à la fin de Décembre, qu'accompagnent symétriquement une douzaine de pieds de cochon farcis aux truffes et aux pistaches, et un plat de côtelettes de porc frais. Aux quatre coins de la table sont deux pièces de petit four, comme tourte et tartelettes, et deux entremets sucrés, tels que crème à la vanille et flanc de pommes à l'anglaise. Neuf plats de dessert, au plus, terminent le Réveillon, et les fidèles ainsi restaurés se retirent pour aller chanter dévotement la Messe de l'aurore, précédée de Prime, et suivie de Tierce. On revient ensuite chez soi faire un petit somme, afin d'assister, soit à jeûn, soit après un léger déjeuner, à la Messe du jour, accompagnée d'un sermon et suivie de Sexte. C'est ainsi que les dévots-Gourmands emploient maintenant à Paris la matinée du jour de Noël. 

On voit que le cochon joue un très grand rôle dans les Réveillons, puisqu'il fait presque à lui seul les honneurs · des deux services. Cela n'a point été imaginé sans motifs, et il est à présumer que les premiers Chrétiens, pour mieux se distinguer des Juifs, auxquels l'usage du porc était interdit par leur ancienne Loi, ont pensé qu'ils devaient introduire sur leur table ce bienfaisant animal, qui n'a rien d'immonde pour nous, et qui est devenu le principe de tant de jouissances nutritives, qu'il est sans exemple qu'un Gourmand ait abandonné la loi de J. C. pour celle de Moyse, de même qu'un ivrogne ne s'est jamais fait Turc. On voit que, dans plus d'une occasion, la gourmandise vient au secours de la Foi, et que, même en morale, elle est bonne . à quelque chose.

Les rues de Paris offrent la veille et la Nuit de Noël un spectacle vraiment appétissant, et digne d'être observé. Les boutiques des charcutiers sont illuminées comme des salles de bal. Les restaurateurs ont compagnie ; les rôtisseurs font tourner la broche ; et presque tous les états qui tiennent à la bouche sont sur pied. La consommation alimentaire qui se fait alors est prodigieuse ; et, comme tel jour que tombe la fête de Noël on fait gras, les cochons ne cessent jamais d'en faire les honneurs, et de payer cette nuit là, plus qu'en aucune autre, de leur personne.

Vous comprenez maintenant les causes de cette indisposition qui (le) fait aliter le 29 décembre pendant 7 à 8 jours


En plus des préparatifs gustatifs de Noël, le Parisien est tout occupé à ses affaires. L’amphitryon travaille plus qu’il ne l’a jamais fait dans l’année 

… c'est la fin de l'année, l'époque des grandes faillites, celle de la conclusion de beaucoup d'affaires, et que presque tout le monde s'y montre plus occupé de ses travaux que de ses plaisirs, les rassemblements nutritifs sont beaucoup moins fréquents; d'ailleurs on se dispose par quelques jours de diète aux Visites du Jour de l'an, qui sont presque toujours des visites préparatoires, et dans lesquelles s'arrangent ces bons festins qui mettront tant de familles d'accord. Car il n'est plus permis de se bouder lorsqu'on a dîné ensemble ; et la bonne harmonie, suite nécessaire d'un excellent dîner, doit, entre honnêtes gens, durer au moins six mois. Il en est de même de la reconnaissance pour celui qui l'a donné ; on doit s'interdire toute espèce de médisance sur son compte pendant le même Période. 

Cette retenue est même chez tous les Gourmands un devoir, devoir d'autant plus sacré qu'il repose également sur la gratitude et sur l'espoir.

Décembre avant Noël, c’est comme une période jeûne après les ripailles de la Saint-Martin, un deuxième carême pendant lequel on enterre les aigreurs familiales et autres. Mais entre Noël et jour de l’an, les estomacs tremblent et les intestins se tordent d’effroi. 

Tout cela pour vous expliquer pourquoi La Reynière n’a pas eu le temps d’écrire son journal.



D’ici janvier, si vous ne l'avez toujours pas fait, vous pourrez lire Grimod de La Reynière, Itinéraires d’un homme libre, en vente ici, en version papier et en version numérique pour une somme dérisoire. Il est vrai, j'insiste, mais c'est pour votre bien.




ou bien son délicieux Dictionnaire gourmand, en vente .

Le Dictionnaire Gourmand de M. de La Reynière





Et si vous avez envie de découvrir un personnage nouveau, lâchez tout et lisez La femme sans prénom, c’est ici! Distractif et instructif !




Bonnes lectures!


A bientôt !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire