lundi 26 février 2018

C'est Carême ? Alors lisez, maintenant!

Oui! Au lieu de faire des orgies culinaires, lisez ! Lisez, par exemple, ce petit Dictionnaire gourmand d'Alexandre Grimod de La Reynière, qui reprend les meilleurs passages de la littérature gourmande de La Reynière et les transforme en aphorismes inoubliables, aussi instructifs que divertissants. Point besoin de massacrer nos amis animaux, la lecture comblera vos envies culinaires, fera défiler devant vos yeux, sans prendre un kilo, tout ce qui vous est cher dans la chère.


Un diner, bientôt ? Vous détestez arriver les mains vides, et ne savez qu’offrir à votre amphitryon, à part le sempiternel bouquet de fleur, l’éternelle bouteille de vin ? Voici la solution ! Le Dictionnaire Gourmand d'Alexandre Grimod de La Reynière, version papier pour la modique somme de 6 euros, à lire immodérément, à toute heure, à tout âge. Les plus généreux d’entre vous irons à leur diner avec le sempiternel bouquet de fleur ou l’éternelle bouteille de vin PLUS ce merveilleux ouvrage qui animera toute la soirée : l’effet est garanti, pour avoir été testé de multiples fois à Paris et ailleurs.

Alors, pourquoi vous en priver plus longtemps ? Pourquoi en priver vos amis ?

Non, il n’y a aucune raison.

Alors, vite, c’est par là !

Présentation :

La langue gourmande de Grimod de La Reynière (1758-1837) atteint des sommets de lyrisme quand il évoque les animaux qui nous nourrissent. Nul mieux que lui n’a convoqué à notre Table littéraire le Roi de la cuisine (le Bœuf) ; les animaux immondes (le Cochon) ; la Reine des marais (la Bécasse), sans oublier celle des plaines (la Perdrix) ; l’Attila des étangs (le Brochet), aussi élevé au titre de Roi de l’eau douce ; ou encore le Roi des forêts (le Sanglier) et son héritier présomptif, l'Hyppolite des forêts (le Marcassin) ; le philosophe des plaines (le Lièvre) ou celui des bois (la Gélinotte) ; l’ami des Gens de lettres (le Merlan), le Veau des Chartreux (le Thon), le Faisan de la Mer (le Turbot)…

Ce Dictionnaire animalier a puisé dans l’ "Almanach des Gourmands" (1803 – 1812), le "Manuel des Amphitryons" (1808) et le "Journal des Gourmands et des Belles" (1806-1807) pour donner le meilleur de la prose du « Fondateur de l’Église Gourmande », une prose jouissive, parfois grivoise, toujours pleine d’esprit, et de poésie aussi.

Le dictionnaire est commenté et  comporte une introduction sur l'œuvre gourmande de Grimod de La Reynière.


Quelques extraits :

Si la loi de Moïse n’avait pas élevé entre les Juifs et les Porcs un mur d’airain, nul doute que les premiers n’eussent mieux aimé faire la Pâques avec un jambon de Bayonne plutôt qu’avec un Agneau de Bethléem. Le meilleur quartier d’Agneau n’est qu’un fade madrigal, comparé surtout à ces savoureux jambons de Bayonne pleins d’esprit et de sel, et que l’on peut comparer à une épigramme excellente…

De l’alouette : Elle s’engraisse par le brouillard avec une rapidité surprenante, et elle a cela de commun avec plus d’un Fournisseur pêchant en eaux troubles ; mais maigrit bien plus promptement qu’eux. La Bartavelle est à la Perdrix ce que les Cardinaux sont aux Évêques. Originaire de la Grèce, elle a conservé le sentiment de sa grandeur, et ne se plaît que dans des lieux élevés, où elle règne en souveraine… Il ne faut en parler qu’avec respect, et ne la manger qu’à genoux.

De la bécasse : Le premier des oiseaux noirs, et la Reine des marais, qui, pour son fumet délicieux, la volatilité de ses principes et la succulence de sa chair, se voit recherchée par les Gourmands de toutes classes. Ce n’est hélas qu’un oiseau de passage ! mais on en mange pendant plus de trois mois de l’année. On vénère tellement ce précieux oiseau qu’on lui rend les mêmes honneurs qu’au Grand Lama.

Du bœuf : Cet animal est une mine inépuisable entre les mains d’un Artiste habile. C’est vraiment le Roi de la cuisine. Sans lui, point de potage, point de jus ; son absence seule suffirait pour affamer et attrister toute une ville… Semblables à ces jeunes gens stupides dont l’esprit ne se forme et ne se développe qu’en voyageant, ces succulentes bêtes ont besoin de voyager d’Auvergne, ou de Normandie, à la capitale pour acquérir le complément de leur mérite.

Du cochon : La Nature a si bien arrangé les choses, que tout est bon dans le cochon, et que rien n’est à rejeter… Les arts disputent à la cuisine l’honneur de tirer parti de ses dépouilles ; et (…) le poil de son dos est devenu, comme chacun le sait, le premier instrument de la gloire de Raphaël.


mardi 20 février 2018


Après les dîners, les collations (de Carême)
Si le déjeuner disparaît au profit d’une simple collation (pas si simple que cela, en fait : voir notre dernier billet), le diner lui, est indétrônable, et en cette période de diète, réparait chaque dimanche puisque l’Église le permet. Le diner de Carême, dîner « maigre », est légèrement différent des diners « gras » - ceux du reste de l’année, dont nous vous avons donné tous les détails ici.

Il est d’abord encore plus festif, car le commensal arrive encore plus affamé, Carême oblige :

Le dîner en carême offre d'abord un avantage sur tous les autres : c'est que l'on s'y présente avec d'autant plus d'appétit, que l'on a observé avec plus de régularité la loi du jeûne; digne récompense des vrais fidèles: ensuite les cuisiniers redoublent à cette époque de zèle et de soûls pour nous étaler tout leur savoir.

Et comme les mois de février (le mois salé) et de mars (le mois humide), sont prodigues en tout ce qui concerne les viandes et les poissons, la délivrance hebdomadaire comblera tout le monde, gourmands ou pas. Supposez Carême en plain mois d’Août ! Ce serait l’horreur !

Regardons du côté des viandes tout d’abord. C’est simple comme bonjour.

Il ne faut pas être bien habile pour nous faire manger avec volupté une culotte de bœuf, une longe de veau de Pontoise, un aloyau rôti, une dinde aux truffes, une poularde du Mans, une échinée de porc frais, une éclanche de mouton de Pré-Salé, etc.; tous ces personnages-là se recommandent par eux-mêmes : il suffit de leur faire voir le feu à propos, et dans un degré convenable.

Pour le poisson, c’est plus compliqué : il faut des préparations savantes et de grands artistes :

Il n'en est pas de même du poisson. Les habitants de l'élément humide sont de leur nature la plupart inodores et fades, et pour paraître avec éclat sur une table splendide, pour être reçus avec complaisance dans le palais d'un gourmand, et traverser avec gloire son œsophage, ils ont besoin de subir une foule de préparations savantes dont le vulgaire ne se doute seulement pas, et qui font le désespoir des grands artistes, de ceux même qui ont pâli vingt ans sur les fourneaux, et dont la tête est un dispensaire ambulant.

Fritures, court-bouillons : même les plus grands cuisiniers peuvent avoir des faiblesses :

Si l'on en excepte les fritures, qui même exigent, pour être bonnes et croquantes, un degré de savoir et d'habitude qui n'est pas très-commun, toutes les autres préparations auxquelles le poisson est appelé réclament une longue expérience, et une connaissance approfondie des plus hauts secrets de la cuisine; et, pour nous borner à un seul exemple , un court-bouillon bien fait est l'écueil du talent d'un artiste ordinaire; les Robert, les Véry, les Morillion, les Balaine* même ne sont pas trop bons pour en faire un sans faute.

Et, qu’on se le dise, ce qui vient d’être dit pour les fritures et court-bouillons vaut pour toute sorte de préparation des poissons. Alors voilà La Reynière qui se lance dans un long catalogue à faire baver les plus anorexiques d’entre nous :

Et si du court-bouillon nous passons aux béchamels, aux filets roulés, aux quenelles aériennes, au godiveau maigre, aux paupiettes de merlans, aux rissoles, aux terrines et aux timbales de soles, aux macreuses à la braise, aux turbotins farcis, à l'esturgeon a la Sainte-Menehould, aux filets de barbue glacés au vert-pré, à l'esturgeon grillé en gribelettes, aux hatelettes d'anguille, à la blanquette de lottes, aux brochetons aux fines herbes, aux lamproies à la provençale, à l'anguille en boudin blanc, aux darnes de bécart grillées, etc., etc., quatre pages d'etc., quelle vaste carrière nous allons ouvrir au Génie! et où trouver un artiste vulgaire vraiment capable de s'élever à la hauteur du plus simple de tous ces ragoûts?

Face à une telle énumération, on en viendrait à remercier l’Église d’avoir inventé le Carême ! Ce que fait La Reynière, avec une âme d’historien et un talent de médecin diététicien, avant que cette spécialité n’existât : 

Ce détail doit nous réconcilier avec l'Église romaine, et nous prouver qu'elle n'a rien négligé pour faciliter aux Gourmands leur salut, puisqu'elle leur permet de manger, tout en se mortifiant, tant d'entrées succulentes , sans parler des rôtis, car la cuisine maigre en offre plus d'un; et telle anguille, tels brochets, piqués de truffes et d'anchois, à la broche, valent bien un gigot que rien n'a pu attendrir, une poularde étique, ou dos lapins

Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentent encor le choux dont ils furent nourris.

Concluons de ce qui précède que tout est pour le mieux; qu'une abstinence de chair morte pendant quarante-six jours repose nos estomacs, et nous dispose à trouver ensuite la viande et le gibier meilleurs; que, considérées sous le rapport de la politique et de l'économie gourmande, ces six semaines de privation ne sont pas moins nécessaires à la reproduction des espèces qu'au salut de nos âmes; qu'on se porte mieux en général à l'issue du Carême qu'à la fin du Carnaval; que le maigre nourrissant moins, et la digestion en étant beaucoup plus prompte, on peut manger plus souvent, et faire deux repas au lieu d'un seul; qu'à tout bien considérer, le Mois Humide peut aller de pair avec le Mois Salé, et qu'en définitif Mars ne se trouve jamais mieux qu'en Carême.

Vivement dimanche !

*  Robert : ex-cuisinier de l’archevêque d’Aix, considéré à l’époque comme le doyen de la cuisine française et comme l’un des hommes qui ont le plus contribué à son accroissement (Antoine Carême). Alexis Balaine était le patron et chef du Rocher de Cancale de 1804 à 1846; Mérillion fut le cuisinier de Laurent de La Reynière, et considéré comme un des meilleurs de sa profession... selon Alexandre, car on n’en trouve nulle trace ailleurs que dans ses écrits. Véry était restaurateur aux Tuileries. Son établissement était parmi, sinon le, plus élégant et le plus cher de Paris.



Source : Le Gastronome français, ou l’Art de bien vivre, par les anciens auteurs du Journal des Gourmands (1824) p.115 et ss.





jeudi 15 février 2018

Mais que fait donc un Gourmand pendant le Carême ?
Eh bien, … il commence par céder à la nostalgie…

Le joyeux carnaval a déjà fui d'une aile rapide; les funérailles du mardi gras sont achevées, et le mercredi des cendres [c’était hier], triste précurseur du carême dont il fait partie, a déjà étendu ses voiles funèbres sur l'horizon des gourmands. Son apparition est le signal auquel tout le poil et toute la plume s'envolent. Adieu les bœufs du Cotentin, les veaux de Pontoise, les moutons de Pré Salé, de Cabourg et des Ardennes, le porc nutritif, le daim léger, le sanglier valeureux, le faon timide, et le lièvre mélancolique, plus timide encore, non moins agile, et qu'il est si doux de fixer à la broche!

… et continue en rendant hommage à Saint-Crevaz, martyr lorrain de la Gourmandise, mort de saisissement à l’aspect du carême, vénéré jusqu’à Marseille sous le nom de Saint-Crapazi, déjà connu des païens sous celui d’Hercule mange-bœuf. Et Rabelais en a fait son Gargantua. Il préserve d’indigestion tous ceux qui l’invoquent avec ferveur ! Des indigestions en plein Carême ? Hélas non mille fois hélas !!

Au moins, se dit le Gourmand, pour se consoler un peu, le malheur des Hommes fait le bonheur des Animaux :

Si la loi du Carême est pour nous un temps de pénitence, elle est pour eux une époque de jubilation; et, tandis que couverts d'un cilice et arrosés de cendres, nous gémissons sur nos privations, ils s'en réjouissent ; ils bravent nos regards, ils insultent à notre appétit, et n'ont plus besoin de chercher à se préserver de nos poursuites. Croître, multiplier, s'engraisser et se réjouir, est maintenant toute leur occupation, tandis que nous, tristes enfants de l'Église, nous faisons précisément le contraire!

Et, enfin, car le Gourmand n’est pas du genre à se laisser abattre trop longtemps, il reprend raison :

Mais rassurez-vous, Gourmands mes confrères; l'Église ne demande point la mort du pécheur; elle ne veut que son amendement. Si elle nous ordonne un jeûne de quarante jours, elle nous permet au moins de le suspendre le dimanche; et nous pouvons ce jour-là faire dix repas sans offenser le ciel. Si elle nous défend le déjeuner, elle nous permet la collation, et cette collation se composant de tous les mets froids, qui ne sont ni oiseaux, ni quadrupèdes, on peut y faire intervenir en toute sûreté de conscience les pâtés de thon , d'esturgeon, de rouget et d'anguille, les sardines confites, les anchois de Fréjus, les huîtres marinées de Grandville, et ces innombrables fruits secs de la Touraine et de la Provence, aimables friandises qui semblent nées pour les collations du Carême, et dont on sentirait bien mieux le prix si l'on attendait chaque année jusque-là pour renouveler connaissance avec elles (1).

Et si à toutes ces bonnes choses l'on ajoute les fruits crus, les compotes froides, tout ce que le petit four enfante de meilleur et de plus recherché; les confitures sèches et liquides et les pâtés de marrons glacés, l'on verra qu'une collation de carême peut encore flatter sous quelques rapports la sensualité gourmande, et que, sans déroger aux lois de l'Église, on peut se permettre toutes ces jouissances-là puisqu'elle n'en interdit aucune.

Nous n'avons parlé ici que des collations, de ce repas d'anachorète qui ne compte point, puisque tout en le faisant, on est censé jeûner, et que cependant avec quelque soin il est si facile de rendre agréable, et même nutritif. Mais nous n'avons encore rien dit des dîners de carême : ils méritent bien qu'on s'en occupe.

D’accord, Alexandre, on s’en occupera dans le prochain billet, c’est juré !


(1) Les meilleures salaisons dans tous les genres, le thon mariné et les fruits secs, tels que les figues fines d'Ollioules, les figues de Calibre, les panses de Roquevaire, les raisins de Malaga, les raisins jubis, les prunes de Brignoles et les brignoles pistoles, les poires de rousselet de Reims, les pruneaux de Tours, les prunes d'Antes, les prunes de roi d'Agen , les quetsches de Lorraine, les amandes-princesses, les avelines monstrueuses, les pistaches d'Alep, les dattes de la Palestine, les jujubes, etc., etc., les olives picholines, les olives farcies aux câpres et aux anchois, et mille autres friandises de Carême, se trouvent en abondance, et de première qualité, dans le magasin de la Truie qui file, rue du Marché aux Poirées, et chez les marchands de comestibles que nous avons cités honorablement pages 56 et 57. (Note GDLR)


Source : Le Gastronome français, ou l’Art de bien vivre, par les anciens auteurs du Journal des Gourmands (1824) p.113 et ss.


lundi 5 février 2018

Février, c’est carnaval
Février, c’est le mois du Carnaval, de la fête et des excès. Il y a deux mille ans de cela, ce n’était pas le cas :

Ce mois, ainsi que son nom l’indique*  était en partie consacré chez les Romains aux expiations ; il a reçu chez les modernes une destination bien différente.
*Du verbe latin februare, expier, purifier, on a fait februarius, février. (Note G.D.L.R.)

Aujourd’hui, c’est à dire en 1803, février culmine après un mois et demi de bombance, avec ce fameux Carnaval :

... il n’est point de mois qui, sous ce rapport, rende plus à la Faculté, parce que c’est celui où les occasions d’en gagner sont le plus fréquentes. Beaucoup de gens sobres, graves et sérieux pendant tout le cours de l’année, choisissent ce temps de folie pour se livrer à quelques excès ; et nous ne pouvons pas dissimuler que c’est l’époque où l’estomac a le plus besoin de toute la force de ses sucs gastriques, car c’est celle où  les voraces appétits des Gourmands lui donnent le plus d’exercice.

Et que mange-t-on en février ? Eh bien, du cochon bien sûr, au point que pour La Reynière, le mois de février est  : Le Mois salé, ou les charcutiers

Le nom de Mois salé appartient incontestablement à celui de Février, puisque c’est pendant son cours qu’il se fait la plus grande consommation de toutes les marchandises dont le porc en est la base.
Ce serait sans doute ici le lieu de placer l’oraison funèbre du cochon, cet animal inappréciable, auquel tous les vrais Gourmands doivent la plus tendre reconnaissance, et dont la mort est un bienfait pour toute une famille…
Le Carnaval est l’époque de l’année que les cochons redoutent le plus, quoique ce ne soit peut-être par celle où l’on en mette à mort le plus grand nombre. Mais presque tous les porcs tués en Décembre seront mangés en Février : ce mois est le tombeau de tous ceux qui ne sont pas destinés à figurer à Pâques sous la forme de jambon ; et il est aussi difficile de supposer un Carnaval sans cochon qu’un Carême sans morue, et qu’un mois de Mai sans petits pois.

Alors profitez-en, car ça ne va pas durer !
Saint temps du Carnaval, hélas ! pourquoi cette année votre durée est-elle aussi courte ! à peine le dix-huitième jour de Février sera-t-il expiré que nous serons tous à la diète.

Cette année, c'est encore pire, le Carême commence le 14 février, le jour de la Saint-Valentin ! Les amoureux seront à la diète ? Bon… mieux vaut penser à autre chose et envisager de fêter la Saint-Valentin le 13 février, exceptionnellement.



Sources : Almanach, 1ère Année ; Journal des Gourmands et des Belles, 1er trimestre 1806.