jeudi 15 février 2018

Mais que fait donc un Gourmand pendant le Carême ?
Eh bien, … il commence par céder à la nostalgie…

Le joyeux carnaval a déjà fui d'une aile rapide; les funérailles du mardi gras sont achevées, et le mercredi des cendres [c’était hier], triste précurseur du carême dont il fait partie, a déjà étendu ses voiles funèbres sur l'horizon des gourmands. Son apparition est le signal auquel tout le poil et toute la plume s'envolent. Adieu les bœufs du Cotentin, les veaux de Pontoise, les moutons de Pré Salé, de Cabourg et des Ardennes, le porc nutritif, le daim léger, le sanglier valeureux, le faon timide, et le lièvre mélancolique, plus timide encore, non moins agile, et qu'il est si doux de fixer à la broche!

… et continue en rendant hommage à Saint-Crevaz, martyr lorrain de la Gourmandise, mort de saisissement à l’aspect du carême, vénéré jusqu’à Marseille sous le nom de Saint-Crapazi, déjà connu des païens sous celui d’Hercule mange-bœuf. Et Rabelais en a fait son Gargantua. Il préserve d’indigestion tous ceux qui l’invoquent avec ferveur ! Des indigestions en plein Carême ? Hélas non mille fois hélas !!

Au moins, se dit le Gourmand, pour se consoler un peu, le malheur des Hommes fait le bonheur des Animaux :

Si la loi du Carême est pour nous un temps de pénitence, elle est pour eux une époque de jubilation; et, tandis que couverts d'un cilice et arrosés de cendres, nous gémissons sur nos privations, ils s'en réjouissent ; ils bravent nos regards, ils insultent à notre appétit, et n'ont plus besoin de chercher à se préserver de nos poursuites. Croître, multiplier, s'engraisser et se réjouir, est maintenant toute leur occupation, tandis que nous, tristes enfants de l'Église, nous faisons précisément le contraire!

Et, enfin, car le Gourmand n’est pas du genre à se laisser abattre trop longtemps, il reprend raison :

Mais rassurez-vous, Gourmands mes confrères; l'Église ne demande point la mort du pécheur; elle ne veut que son amendement. Si elle nous ordonne un jeûne de quarante jours, elle nous permet au moins de le suspendre le dimanche; et nous pouvons ce jour-là faire dix repas sans offenser le ciel. Si elle nous défend le déjeuner, elle nous permet la collation, et cette collation se composant de tous les mets froids, qui ne sont ni oiseaux, ni quadrupèdes, on peut y faire intervenir en toute sûreté de conscience les pâtés de thon , d'esturgeon, de rouget et d'anguille, les sardines confites, les anchois de Fréjus, les huîtres marinées de Grandville, et ces innombrables fruits secs de la Touraine et de la Provence, aimables friandises qui semblent nées pour les collations du Carême, et dont on sentirait bien mieux le prix si l'on attendait chaque année jusque-là pour renouveler connaissance avec elles (1).

Et si à toutes ces bonnes choses l'on ajoute les fruits crus, les compotes froides, tout ce que le petit four enfante de meilleur et de plus recherché; les confitures sèches et liquides et les pâtés de marrons glacés, l'on verra qu'une collation de carême peut encore flatter sous quelques rapports la sensualité gourmande, et que, sans déroger aux lois de l'Église, on peut se permettre toutes ces jouissances-là puisqu'elle n'en interdit aucune.

Nous n'avons parlé ici que des collations, de ce repas d'anachorète qui ne compte point, puisque tout en le faisant, on est censé jeûner, et que cependant avec quelque soin il est si facile de rendre agréable, et même nutritif. Mais nous n'avons encore rien dit des dîners de carême : ils méritent bien qu'on s'en occupe.

D’accord, Alexandre, on s’en occupera dans le prochain billet, c’est juré !


(1) Les meilleures salaisons dans tous les genres, le thon mariné et les fruits secs, tels que les figues fines d'Ollioules, les figues de Calibre, les panses de Roquevaire, les raisins de Malaga, les raisins jubis, les prunes de Brignoles et les brignoles pistoles, les poires de rousselet de Reims, les pruneaux de Tours, les prunes d'Antes, les prunes de roi d'Agen , les quetsches de Lorraine, les amandes-princesses, les avelines monstrueuses, les pistaches d'Alep, les dattes de la Palestine, les jujubes, etc., etc., les olives picholines, les olives farcies aux câpres et aux anchois, et mille autres friandises de Carême, se trouvent en abondance, et de première qualité, dans le magasin de la Truie qui file, rue du Marché aux Poirées, et chez les marchands de comestibles que nous avons cités honorablement pages 56 et 57. (Note GDLR)


Source : Le Gastronome français, ou l’Art de bien vivre, par les anciens auteurs du Journal des Gourmands (1824) p.113 et ss.


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