Février, mois du
Cinquième péché capital
Avant que Carême n’arrive, hélas (cette année, pour la
Saint-Valentin), le Gourmand s’en donne à pleines joies : quarante jours de
maigre se profilent à l’horizon !
Comme souvent, La Reynière ne se limite pas à des
considérations purement stomacales. Il nous livre un cours inédit d’histoire
religieuse matinée de réflexions profondes sur la Révolution de 1789.
Convenons que de tous les péchés capitaux que l’homme
peut commettre, le cinquième est celui qui paraît charger le plus légèrement sa
conscience et lui donner le moins de remords. De toutes les espèces
d’intempérance, c’est celle dont l’Église accorde le plus aisément l’absolution,
parce que c’est celle que ses ministres se permettent pour leur propre compte
avec le moins de scrupule. La gourmandise des Chanoines avait , comme l’on
sait, passé en proverbe, longtemps avant que la Révolution française les eût
mis à la diète; et l’hospitalité (qui est la vertu des Gourmands), n’était
nulle part exercée avec plus d’étendue que dans les maisons religieuses. MM.
les Fournisseurs, qui ont acquis la plupart des riches Abbayes de France, ne la
connaissent pas même de nom.
Alors, que fait le Gourmand en Février, tant que l’heure du
Carême n’a pas sonné ? Il convoque à table le bœuf, le mouton, le cochon
et toutes sortes de gibiers (des ortolans, peut-être) !
La Nature semble ici d’accord avec nos usages : Février
n’est pas moins que son aîné le mois de la bonne chère, et il nous offre
à-peu-près les mêmes productions. Le bœuf y est presque aussi gras, le veau
aussi blanc, et le mouton aussi succulent qu’en janvier; le cochon n’est jamais
plus souvent sollicité que dans ce mois de nous fournir de solides
hors-d’œuvres, et jamais le commerce du boudin, des andouilles et des
saucisses, n’est plus actif que pendant le Carnaval. Quoique le gibier n’y soit
pas tout-à-fait aussi commun qu’en janvier, il y est à-peu-près le même..
Mais aussi une armée de produits
indigènes qui font exploser la malle des Postes, au point de rendre la
moindre lettre délicieusement odorante !
Les malles des courriers du midi gémissent sous le poids
des dindes aux truffes, des pâtés de foies de canard, des pâtés de Périgueux ,
des terrines de Nérac, et autres menues friandises qui accourent en poste du
nord et du midi, pour devancer le Carême. Strasbourg s’empresse aussi de nous
expédier ses indicibles pâtés de foies d’oie, bien faits pour réconcilier, avec
les chrétiens, les juifs qui , dit-on, sont en possession d’en préparer les
éléments. Troyes nous envoie, par douzaines, ses hures de sanglier, et son
fromage de cochon si supérieur à celui qu’on fabrique à Paris; et par grosses,
ses petites langues inimitables , dont la délicatesse est exquise, et dont le
secret semble être concentré dans ses murs. Enfin les lettres se serrent dans
ces bienheureuses malles, pour faire place aux mortadelles de Lyon, aux
bartavelles du Dauphiné, aux perdrix de Cahors, et aux truffes du Périgord,
qui, de leur succulent parfum, embaument toute la dépêche.
Maintenant, tout cela est congelé, sous vide, sous cellophane,
encapsulé, embouteillé, conservateurisé, et j’ai beau sniffer le courrier de ce
matin, il ne sent pas du tout la mortadelle de Lyon ni la truffe du Périgord.
Et vous ?
Bon week end !
Source : Almanach 1ère année
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