samedi 10 février 2018

Février, mois du Cinquième péché capital        

Avant que Carême n’arrive, hélas (cette année, pour la Saint-Valentin), le Gourmand s’en donne à pleines joies : quarante jours de maigre se profilent à l’horizon !

Comme souvent, La Reynière ne se limite pas à des considérations purement stomacales. Il nous livre un cours inédit d’histoire religieuse matinée de réflexions profondes sur la Révolution de 1789.

Convenons que de tous les péchés capitaux que l’homme peut commettre, le cinquième est celui qui paraît charger le plus légèrement sa conscience et lui donner le moins de remords. De toutes les espèces d’intempérance, c’est celle dont l’Église accorde le plus aisément l’absolution, parce que c’est celle que ses ministres se permettent pour leur propre compte avec le moins de scrupule. La gourmandise des Chanoines avait , comme l’on sait, passé en proverbe, longtemps avant que la Révolution française les eût mis à la diète; et l’hospitalité (qui est la vertu des Gourmands), n’était nulle part exercée avec plus d’étendue que dans les maisons religieuses. MM. les Fournisseurs, qui ont acquis la plupart des riches Abbayes de France, ne la connaissent pas même de nom.

Alors, que fait le Gourmand en Février, tant que l’heure du Carême n’a pas sonné ? Il convoque à table le bœuf, le mouton, le cochon et toutes sortes de gibiers (des ortolans, peut-être) !

La Nature semble ici d’accord avec nos usages : Février n’est pas moins que son aîné le mois de la bonne chère, et il nous offre à-peu-près les mêmes productions. Le bœuf y est presque aussi gras, le veau aussi blanc, et le mouton aussi succulent qu’en janvier; le cochon n’est jamais plus souvent sollicité que dans ce mois de nous fournir de solides hors-d’œuvres, et jamais le commerce du boudin, des andouilles et des saucisses, n’est plus actif que pendant le Carnaval. Quoique le gibier n’y soit pas tout-à-fait aussi commun qu’en janvier, il y est à-peu-près le même..

Mais aussi une armée de produits indigènes qui font exploser la malle des Postes, au point de rendre la moindre lettre délicieusement odorante !

Les malles des courriers du midi gémissent sous le poids des dindes aux truffes, des pâtés de foies de canard, des pâtés de Périgueux , des terrines de Nérac, et autres menues friandises qui accourent en poste du nord et du midi, pour devancer le Carême. Strasbourg s’empresse aussi de nous expédier ses indicibles pâtés de foies d’oie, bien faits pour réconcilier, avec les chrétiens, les juifs qui , dit-on, sont en possession d’en préparer les éléments. Troyes nous envoie, par douzaines, ses hures de sanglier, et son fromage de cochon si supérieur à celui qu’on fabrique à Paris; et par grosses, ses petites langues inimitables , dont la délicatesse est exquise, et dont le secret semble être concentré dans ses murs. Enfin les lettres se serrent dans ces bienheureuses malles, pour faire place aux mortadelles de Lyon, aux bartavelles du Dauphiné, aux perdrix de Cahors, et aux truffes du Périgord, qui, de leur succulent parfum, embaument toute la dépêche.

Maintenant, tout cela est congelé, sous vide, sous cellophane, encapsulé, embouteillé, conservateurisé, et j’ai beau sniffer le courrier de ce matin, il ne sent pas du tout la mortadelle de Lyon ni la truffe du Périgord.

Et vous ?

Bon week end !


Source : Almanach 1ère année

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