mardi 10 avril 2018

Tout est bon dans le Cochon !                                                        

Après en avoir été privé pendant tout le Carême; après avoir dû se soumettre à la célébration de l'agneau pascal; voilà que La Reynière peut, depuis quelques jours, appeler à sa table son préféré, le Roi des animaux immondes. C'est du cochon qu'il s'agit!

Le mérite du cochon est si généralement reconnu ; son utilité en cuisine est si profondément sentie, que son panégyrique est ici superflu. C’est le Roi des animaux immondes : c’est celui dont l’empire est le plus universel, et les qualités les moins contestées ; sans lui, point de lard, et par conséquent, point de cuisine ; sans lui, point de jambons, point de saucisses, point d’andouilles, point de boudins noirs, et par-conséquent, point de charcutiers. Les médecins ont beau dire que sa chair est indigeste, pesante et laxative ; on laisse crier les médecins, qui seraient bien fâchés qu’on les écoutât, car le cochon est, sous le rapport des indigestions, l’un des plus beaux fleurons de leur couronne.

Oui, les mérites du Cochon sont innombrables, tellement que leur énumération occuperait plusieurs volumes. Alors, plutôt qu'un long discours, La Reynière a employé une formule-choc qui a traversé les siècles, un apophtegme profond, faussement attribué à Brillat-Savarin, auteur de La Physiologie du Goût (1825). Corrigeons cent-treize années d'injustice, rendons à Alexandre ce qui est à Alexandre, rétablissons la Vérité, redressons les errements de l’Histoire, et citons cet aphorisme qui tourne au profit du génie, extrait de la page 26 de L’Almanach des Gourmands de 1804 (2ème Année) :

La Nature a si bien arrangé les choses,
que tout est bon dans le cochon,
et que rien n’est à rejeter.

Et non content de fournir mille nourritures terrestres, le Cochon alimente nos réflexions philosophiques…

Quiconque voudrait étudier avec quelque attention les mœurs de cet animal, trouverait dans toutes ses habitudes un grand fond de philosophie ; et depuis le Cochon de Saint-Antoine* et les pourceaux d’Épicure**, jusqu’à ceux dont nous avons le bonheur d’être les contemporains, et qui se rendent en foule tous les lundis de chaque semaine au marché de Saint-Germain-en-Laye qui en approvisionne tout Paris, il n’en est aucun qui n’ait été sur la terre un exemple de stoïcisme, d’impassibilité, d’égoïsme et de bon appétit, qualités auxquelles on a reconnu dans tous les siècles, et surtout dans le nôtre, MM. Les Philosophes C.Q.F.D.
* Saint Antoine d’Égypte est souvent représenté avec un cochon portant une clochette. Il semble que cette tradition iconographique manque de rigueur : les cochons à clochettes sont apparus bien plus tard dans le Dauphiné, berceau de l’ordre des Antonins, où les cochons n’avaient pas le droit d’errer librement dans les rues, sauf ceux des Antonins, reconnaissables à leur clochette. (source : wikipedia).
** L’expression vient d’Horace, Épître à Tibulle (I-IV) : « Si tu veux rire, viens me visiter ; tu verras un homme gras, poli, fort occupé de sa peau, un pourceau d'Épicure. »

Sans oublier que sans lui, point de peinture, et par conséquent, pas de Boucher, pas de Raphaël, pas de Léonard, etc…:

Les arts disputent à la cuisine l’honneur de tirer parti de ses dépouilles ;  et (…) le poil de son dos est devenu, comme chacun le sait, le premier instrument de la gloire de Raphaël.

Le prochain billet ? Une bonne recette à base de cochon.


Sources : Almanach, 2ème année

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