Tout est bon dans le Cochon !
Après en avoir été privé pendant tout le Carême; après avoir
dû se soumettre à la célébration de l'agneau pascal; voilà que La Reynière
peut, depuis quelques jours, appeler à sa table son préféré, le Roi des
animaux immondes. C'est du cochon qu'il s'agit!
Le mérite du cochon est si généralement reconnu ;
son utilité en cuisine est si profondément sentie, que son panégyrique est ici
superflu. C’est le Roi des animaux immondes : c’est celui dont l’empire
est le plus universel, et les qualités les moins contestées ; sans lui,
point de lard, et par conséquent, point de cuisine ; sans lui, point de
jambons, point de saucisses, point d’andouilles, point de boudins noirs, et
par-conséquent, point de charcutiers. Les médecins ont beau dire que sa chair
est indigeste, pesante et laxative ; on laisse crier les médecins, qui
seraient bien fâchés qu’on les écoutât, car le cochon est, sous le rapport des
indigestions, l’un des plus beaux fleurons de leur couronne.
Oui, les mérites du Cochon sont innombrables, tellement que
leur énumération occuperait plusieurs volumes. Alors, plutôt qu'un long
discours, La Reynière a employé une formule-choc qui a traversé les siècles, un
apophtegme profond, faussement attribué à Brillat-Savarin, auteur de La
Physiologie du Goût (1825). Corrigeons cent-treize années d'injustice,
rendons à Alexandre ce qui est à Alexandre, rétablissons la Vérité, redressons
les errements de l’Histoire, et citons cet aphorisme qui tourne au
profit du génie, extrait de la page 26 de L’Almanach des
Gourmands de 1804 (2ème Année) :
La Nature a si bien arrangé les choses,
que tout est bon dans le cochon,
et que rien n’est à rejeter.
Et non content de fournir mille nourritures terrestres, le
Cochon alimente nos réflexions philosophiques…
Quiconque voudrait étudier avec quelque attention les
mœurs de cet animal, trouverait dans toutes ses habitudes un grand fond de
philosophie ; et depuis le Cochon de Saint-Antoine* et les pourceaux
d’Épicure**, jusqu’à ceux dont nous avons le bonheur d’être les contemporains,
et qui se rendent en foule tous les lundis de chaque semaine au marché de
Saint-Germain-en-Laye qui en approvisionne tout Paris, il n’en est aucun qui
n’ait été sur la terre un exemple de stoïcisme, d’impassibilité, d’égoïsme et
de bon appétit, qualités auxquelles on a reconnu dans tous les siècles, et
surtout dans le nôtre, MM. Les Philosophes C.Q.F.D.
* Saint Antoine d’Égypte est souvent
représenté avec un cochon portant une clochette. Il semble que cette tradition
iconographique manque de rigueur : les cochons à clochettes sont apparus
bien plus tard dans le Dauphiné, berceau de l’ordre des Antonins, où les
cochons n’avaient pas le droit d’errer librement dans les rues, sauf ceux des
Antonins, reconnaissables à leur clochette. (source : wikipedia).
** L’expression vient d’Horace, Épître
à Tibulle (I-IV) : « Si tu veux rire, viens me visiter ; tu
verras un homme gras, poli, fort occupé de sa peau, un pourceau
d'Épicure. »
Sans oublier que sans lui, point de peinture, et par
conséquent, pas de Boucher, pas de Raphaël, pas de Léonard, etc…:
Les arts disputent à la cuisine l’honneur de tirer parti de ses dépouilles ; et (…) le poil de son dos est devenu, comme chacun le sait, le premier instrument de la gloire de Raphaël.
Le prochain billet ? Une bonne recette à base de cochon.
Sources : Almanach, 2ème
année
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