La recette du Rôti sans pareil
Vous êtes en vacances et vous cherchez une occupation ?
Voici une des recettes les plus fameuses de La Reynière qui vous occupera
en vous divertissant : le « Rôti sans pareil ». Elle est impossible à faire, l'Homme est passé par là qui a décimé la nature de tant de ses habitants à plume et dépeuplé les étals de nos bouchers de ses meilleures productions. Et elle serait impossible à écrire aujourd'hui pour cause de malséance. Un jour, je vais me retrouver avec une plainte des femens, c'est sûr!
Le Rôti dont nous allons
donner la recette, ou, pour mieux dire, la description, n'est pas absolument
nouveau ; cette méthode de renfermer les uns dans les autres des animaux
terrestres, volatiles ou aquatiques, était connue des Romains, même de nos ancêtres
; et l'on trouve dans les Étrennes de la Saint-Jean une très-jolie historiette à ce sujet, sous le titre
de Galanterie d'un Boucher à sa maitresse
Un boucher qui dédie une recette à sa maitresse sur le thème
de la Danse des sept voiles ? En voilà un qui avait l’humour gaillard,
comme La Reynière et son ami pâtissier, monsieur Rouget (voir ici). Car c’est
la tout le secret de cette recette : comment monter la pièce pour mieux
l’effeuiller !
Prenez une belle olive farcie aux câpres et aux anchois,
marinée à l'huile vierge, et la mettez dans le corps d'un bec-figue, auquel on
aura coupé la tête et les pattes ;
Mettez ce bec figue, ainsi troussé, dans un ortolan, gras
et bien en chair ;
Mettez cet ortolan, ainsi choisi, dans le corps d'une
mauviette , à laquelle, outre l'amputation des pattes et de la tête, l'on aura
retranché les os principaux, et que l'on aura entourée d'une barde de lard
très-mince ;
Mettez la mauviette ainsi farcie et parée dans le corps
d'une grive, que vous aurez parée et retroussée de même ;
Mettez la grive dans le corps d'une caille bien grasse,
bien juteuse, et qui soit de vigne, de préférence à une caille domestique;
Mettez cette caille non bardée, mais enveloppée d'une
feuille de vigne, qui lui servira de titre de noblesse et de certificat d'origine,
dans le corps d'un bon vanneau ;
Mettez le vanneau, bien troussé et revêtu d'une mince
redingote de lard, dans le corps d'un beau pluvier doré;
Mettez ledit pluvier, bien
bardé, dans le corps d'un beau perdreau, rouge si vous pouvez ;
Mettez ce perdreau dans le
corps d'une jeune bécasse, tendre comme mademoiselle Volnay, (1) succulente et
bien mortifiée ;
Mettez cette bécasse,
après l'avoir entourée de croûtes de pain coupées bien minces, dans le corps
d'une sarcelle ;
Mettez la sarcelle, bardée
avec soin et bien parée, dans le corps d'un pintadeau;
Mettez le pintadeau, bien
bardé aussi, dans le corps d'un canard jeune et choisi parmi les sauvages, de
préférence aux canards domestiques ;
Mettez le canard dans le
corps d'une jeune poularde, blanche comme madame Belmont, (2) bien en chair
comme mademoiselle de Vienne, (3) grasse comme mademoiselle L. Contat,(4) mais
de moyenne grosseur ;
Mettez cette poularde dans
le corps d'un beau faisan jeune, bien choisi, mais surtout convenablement
mortifié, car les Gourmands ne les aiment qu'ainsi ;
Mettez ce faisan dans le corps d'une jeune oie sauvage,
grasse et bien attendrie ;
Mettez cette jeune et belle oie dans le corps d'une très
belle poule d'Inde, blanche et grasse comme mademoiselle Arsène. (5)
Enfin, renfermez votre poule d'Inde dans le corps d'une
belle outarde, et si elle ne le remplit pas exactement , bouchez les vides avec
de bons marrons du Luc, de la chair à saucisses, ou une bonne farce savante.
Votre Rôti ainsi disposé, mettez - le dans un pot d'une
capacité convenable , avec oignons piqués de clous, carottes, petits dés de
jambon, céleri, bouquet garni, mignonnette, force bardes de lard bien
assaisonné, poivre, sel, épices fines, coriandre, et une ou deux gousses d'ail.
Scellez ce pot hermétiquement en le lutant avec de la
pâte, ou tout autre lut approprié.
Mettez-le ensuite pendant vingt quatre heures sur un feu
doux , et disposé de manière que la chaleur le pénètre également et peu à peu.
Nous pensons qu'un four chauffé modérément, et entretenu au même degré, lui
conviendrait mieux encore que l'âtre.
Au moment de servir, délutez, dressez votre Rôti sur un
plat chaud, après l'avoir dégraissé s'il en est besoin, et mettez sur table. Il
est facile d'imaginer que les sucs de tant de différents volatiles, mêlés par
cette douce cuisson, et leurs principes divers identifiés les uns aux autres,
par suite de cet intime rapprochement, donnent à ce Rôti sans pareil un goût
merveilleux : vous avez en lui la quintessence des plaines, des forêts, des
marais, et de la meilleure basse-cour. Au reste, l'industrie d'un cuisinier
habile varie ce Rôti selon les saisons, les lieux, et la dépense que l'on veut
faire. Il s'agit seulement de suivre les principes énoncés dans cette recette,
c'est à dire de renfermer tous ces animaux les uns dans les autres, en
commençant par le plus petit, et s'élevant ainsi par degrés du bec-figue
jusqu'à l'outarde.
(1) Du
Théâtre Français. Elle avait « une belle gorge et fort blanche ». La Reynière chantait
pour elle ce couplet composé par M. le Chevalier de Boufflers
, adressé à Madame la Duchesse de Lauzun déguisée en boulangère ; charmante
boulangère, lui disait-il :
Que
j'aime la tournure
Des petits Pains au lait
Que la simple Nature
A mis dans ton corset.
Des petits Pains au lait
Que la simple Nature
A mis dans ton corset.
Ces « petits
Pains à la Volney »,
dont la délicatesse est extrême et qui sont dignes, comme la
charmante Actrice qui en possède les modèles, de faire les délices
de la meilleure compagnie, ont paru à la 461ème Séance du Jury dégustateur, illustrée par la réception de
Mademoiselle Volnais. Ils y ont obtenu un grand succès ; et le Public prouve,
par l'empressement avec lequel il s'en pourvoit
dans la boutique de M. Rouget, qu'il est sur ce point, comme sur
beaucoup d'autres, de l'avis du Jury dégustateur.
(2) Du
Théâtre du Vaudeville. Elle fut célèbre pour son interprétation de Fanchon, femme
au caractère bien trempé mais dont il n’est pas avéré qu’elle fût une maitresse
d’Alexandre. La Décade Littéraire de 1803 nous indique en
outre que « la véritable Fanchon la vielleuse, après
avoir joui quelques années de sa vogue bizarre et de sa fortune déshonorante
mourut d’un coup d’épée que lui donna un militaire quelque peu brutal pour
punir un soufflet qu’il en avait reçu, et qu’il s’était peut-être
attiré. »
(3) Du Théâtre Français. Mademoiselle Devienne, ou de
Vienne, dont le talent rappelle les plus
beaux jours de la scène française (…)
eût le très grand avantage de paraître jolie à un âge où il serait très
naturel qu’elle cessât de l’être.
(4) Du même Théâtre. Mademoiselle
Contat a la figure belle et noble, le regard vif et plein d’esprit ; elle
fait oublier par l’aisance de ses manières et la grâce de son maintien les formes un peu matérielles de sa taille.
(5) Du
Théâtre du Vaudeville. Superbe statue de
marbre (…), belle voix, assez bonne méthode de chant, tenue décente et même
sévère, mais rien qui dénote en elle la moindre disposition pour l’art
dramatique.
Source : Almanach des Gourmands, 5ème
et 8ème années ; Revue
des Comédiens, 1808.
Bon appétit !
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