mercredi 25 avril 2018

La recette du Rôti sans pareil

Vous êtes en vacances et vous cherchez une occupation ? Voici une des recettes les plus fameuses de La Reynière qui vous occupera en vous divertissant : le « Rôti sans pareil ». Elle est impossible à faire, l'Homme est passé par là qui a décimé la nature de tant de ses habitants à plume et dépeuplé les étals de nos bouchers de ses meilleures productions. Et elle serait impossible à écrire aujourd'hui pour cause de malséance. Un jour, je vais me retrouver avec une plainte des femens, c'est sûr!

Le Rôti dont nous allons donner la recette, ou, pour mieux dire, la description, n'est pas absolument nouveau ; cette méthode de renfermer les uns dans les autres des animaux terrestres, volatiles ou aquatiques, était connue des Romains, même de nos ancêtres ; et l'on trouve dans les Étrennes de la Saint-Jean une très-jolie historiette à ce sujet, sous le titre de Galanterie d'un Boucher à sa maitresse

Un boucher qui dédie une recette à sa maitresse sur le thème de la Danse des sept voiles ? En voilà un qui avait l’humour gaillard, comme La Reynière et son ami pâtissier, monsieur Rouget (voir ici). Car c’est la tout le secret de cette recette : comment monter la pièce pour mieux l’effeuiller !

Prenez une belle olive farcie aux câpres et aux anchois, marinée à l'huile vierge, et la mettez dans le corps d'un bec-figue, auquel on aura coupé la tête et les pattes ;

Mettez ce bec figue, ainsi troussé, dans un ortolan, gras et bien en chair ;

Mettez cet ortolan, ainsi choisi, dans le corps d'une mauviette , à laquelle, outre l'amputation des pattes et de la tête, l'on aura retranché les os principaux, et que l'on aura entourée d'une barde de lard très-mince ;

Mettez la mauviette ainsi farcie et parée dans le corps d'une grive, que vous aurez parée et retroussée de même ;

Mettez la grive dans le corps d'une caille bien grasse, bien juteuse, et qui soit de vigne, de préférence à une caille domestique;

Mettez cette caille non bardée, mais enveloppée d'une feuille de vigne, qui lui servira de titre de noblesse et de certificat d'origine, dans le corps d'un bon vanneau ;

Mettez le vanneau, bien troussé et revêtu d'une mince redingote de lard, dans le corps d'un beau pluvier doré;

Mettez ledit pluvier, bien bardé, dans le corps d'un beau perdreau, rouge si vous pouvez ;

Mettez ce perdreau dans le corps d'une jeune bécasse, tendre comme mademoiselle Volnay, (1) succulente et bien mortifiée ;

Mettez cette bécasse, après l'avoir entourée de croûtes de pain coupées bien minces, dans le corps d'une sarcelle ;

Mettez la sarcelle, bardée avec soin et bien parée, dans le corps d'un pintadeau;

Mettez le pintadeau, bien bardé aussi, dans le corps d'un canard jeune et choisi parmi les sauvages, de préférence aux canards domestiques ;

Mettez le canard dans le corps d'une jeune poularde, blanche comme madame Belmont, (2) bien en chair comme mademoiselle de Vienne, (3) grasse comme mademoiselle L. Contat,(4) mais de moyenne grosseur ;

Mettez cette poularde dans le corps d'un beau faisan jeune, bien choisi, mais surtout convenablement mortifié, car les Gourmands ne les aiment qu'ainsi ;

Mettez ce faisan dans le corps d'une jeune oie sauvage, grasse et bien attendrie ;

Mettez cette jeune et belle oie dans le corps d'une très belle poule d'Inde, blanche et grasse comme mademoiselle Arsène. (5)

Enfin, renfermez votre poule d'Inde dans le corps d'une belle outarde, et si elle ne le remplit pas exactement , bouchez les vides avec de bons marrons du Luc, de la chair à saucisses, ou une bonne farce savante.

Votre Rôti ainsi disposé, mettez - le dans un pot d'une capacité convenable , avec oignons piqués de clous, carottes, petits dés de jambon, céleri, bouquet garni, mignonnette, force bardes de lard bien assaisonné, poivre, sel, épices fines, coriandre, et une ou deux gousses d'ail.

Scellez ce pot hermétiquement en le lutant avec de la pâte, ou tout autre lut approprié.

Mettez-le ensuite pendant vingt quatre heures sur un feu doux , et disposé de manière que la chaleur le pénètre également et peu à peu. Nous pensons qu'un four chauffé modérément, et entretenu au même degré, lui conviendrait mieux encore que l'âtre.

Au moment de servir, délutez, dressez votre Rôti sur un plat chaud, après l'avoir dégraissé s'il en est besoin, et mettez sur table. Il est facile d'imaginer que les sucs de tant de différents volatiles, mêlés par cette douce cuisson, et leurs principes divers identifiés les uns aux autres, par suite de cet intime rapprochement, donnent à ce Rôti sans pareil un goût merveilleux : vous avez en lui la quintessence des plaines, des forêts, des marais, et de la meilleure basse-cour. Au reste, l'industrie d'un cuisinier habile varie ce Rôti selon les saisons, les lieux, et la dépense que l'on veut faire. Il s'agit seulement de suivre les principes énoncés dans cette recette, c'est à dire de renfermer tous ces animaux les uns dans les autres, en commençant par le plus petit, et s'élevant ainsi par degrés du bec-figue jusqu'à l'outarde.

(1) Du Théâtre Français. Elle avait « une belle gorge et fort blanche ». La Reynière chantait pour elle ce couplet composé par M. le Chevalier de Boufflers , adressé à Madame la Duchesse de Lauzun  déguisée en boulangère ; charmante boulangère, lui disait-il :
Que j'aime la tournure
Des petits Pains au lait
Que la
simple Nature
A mis dans ton corset
.

Ces « petits Pains à la Volney », dont la délicatesse est extrême et qui sont dignes, comme la charmante Actrice qui en possède les modèles, de faire les délices de la meilleure compagnie, ont paru à la 461ème Séance du Jury dégustateur, illustrée par la réception de Mademoiselle Volnais. Ils y ont obtenu un grand succès ; et le Public prouve, par l'empressement avec lequel il s'en pourvoit dans la boutique de M. Rouget, qu'il est sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, de l'avis du Jury dégustateur.

(2) Du Théâtre du Vaudeville. Elle fut célèbre pour son interprétation de Fanchon, femme au caractère bien trempé mais dont il n’est pas avéré qu’elle fût une maitresse d’Alexandre. La Décade Littéraire de 1803 nous indique en outre que « la véritable Fanchon la vielleuse, après avoir joui quelques années de sa vogue bizarre et de sa fortune déshonorante mourut d’un coup d’épée que lui donna un militaire quelque peu brutal pour punir un soufflet qu’il en avait reçu, et qu’il s’était peut-être attiré. »

(3) Du Théâtre Français. Mademoiselle Devienne, ou de Vienne, dont le talent rappelle les plus beaux jours de la scène française (…)  eût le très grand avantage de paraître jolie à un âge où il serait très naturel qu’elle cessât de l’être.
(4) Du même Théâtre.  Mademoiselle Contat a la figure belle et noble, le regard vif et plein d’esprit ; elle fait oublier par l’aisance de ses manières et la grâce de son maintien les formes un peu matérielles de sa taille.
(5) Du Théâtre du Vaudeville. Superbe statue de marbre (…), belle voix, assez bonne méthode de chant, tenue décente et même sévère, mais rien qui dénote en elle la moindre disposition pour l’art dramatique.

Source : Almanach des Gourmands, 5ème et 8ème années ; Revue des Comédiens, 1808.

Bon appétit !

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