Mai : le Mois conciliateur
À tous mes ami.e.s gourmands, gourmets, gastronomes et
gastrophiles : fini, le mois d’avril où l’on ne se découvre pas d’un fil,
de même les haricots, voici le mois de mai où l’on s'est remis des privations
du carême, où l’on se renoue avec les amours et les amourettes, car rien de
mieux qu’une généreuse diète pour conter fleurette. Même les affaires de
famille tournent à la réconciliation, c’est tout dire.
C’est le mois où les amants montrent le plus de
tendresse, les maris le plus de ferveur, les parents le moins d’animosité.
C’est aussi celui où l’appétit des Gourmands se réveille, et reprend en quelque
sorte une nouvelle existence. Ils ont eu tout le temps de se reposer pendant le
Carême des fatigues du Carnaval ; et les jambons de Bayonne, l’Agneau
pascal et les œufs rouges ne les ont pas assez sérieusement occupés pour les
empêcher de se livrer avec ardeur à la dégustation des maquereaux, des petits
pois, et des autres bienfaisants acolytes du mois de Mai.
Ouf ! les petits
pois, comme dira Rossini et comme dit Alexandre autrement
:
Pois ramés, pois écossés ! c’est la chanson du mois
de Mai, et cette musique plaît plus aux oreilles gourmandes que toutes ces
savantes ariettes de l’Opera-buffa, qui ne disent rien à l’esprit ni au cœur.
Quant aux maquereaux…
Leur présence est à Paris l’un des plus grands charmes du
printemps. Ce poisson a cela de commun avec les bonnes femmes qu’il est aimé de
tout le monde. Devenu nécessaire à tous, il est bien reçu partout.
C’est surtout à Paris que les maquereaux jouent un grand
rôle, et sont généralement aimés. Leur apparition devient le signal d’une
véritable fête : on se rassemble autour d’eux, on les met à l’enchère, on
les cite dans les invitations, sinon comme les rois de la fête, au moins comme
les plus chers amis du prince ; et comme leurs vertus naturelles peuvent
se passer de parure, et qu’on les aime en général pour eux-mêmes, on les
préfère dans leur plus grande simplicité.
Le maquereau, dans sa plus simple parure ? Oui, dans
son entier, mais pas en filets. Voilà les conseils que donne La Reynière.
Recettes du maquereau à la maître
d’hôtel et des filets de maquereau
Les Maquereaux, l'un des plus doux présents que la Nature
nous fasse pendant les mois de mai et de juin, s'apprêtent de diverses
manières : à l'anglaise, à l'espagnole, à la genevoise, glacés, bardés à
la broche, à la braise, à la provençale, en hâtelettes*,
à la flamande, en caisse, à la Périgord, en fricandeau, et même en papillotes.
Mais on a reconnu que ces divers assaisonnements n'ajoutaient rien à la bonté
d'un poisson qui peut se passer d'ornements étrangers, l'on a fini par y
renoncer ; en sorte que ce n'est plus qu'à la maître-hôtel, c'est-à-dire fendus
par le dos et cuits sur le gril, avec un bon morceau de beure frais manié de
fines herbes, que les Maquereaux se présentent aujourd'hui dans les maisons les
plus opulentes ; ils y sont toujours reçus à bras ouverts.
Mais si le Maquereau, dans son entier, n'a pas besoin de
parure, il n'en est pas de même de ses filets ; et nous pensons qu'on ne
sera pas fâché de trouver ici une façon peu connue de les faire paraître avec
avantage sur une table distinguée. Vous commencez par les faire cuire à moitié
dans une casserole avec du bouillon, un demi-verre de vin de Champagne et un
peu d'excellente huile d'olive; ensuite vous les mettez dans un plat avec du
beurre manié de persil, ciboules, échalotes, sel, poivre, et un peu de muscade
; mettez vos filets dessus, et remettez encore par-dessus du même appareil. Couvrez
le plat, et le posez sur des cendres chaudes pendant dix-huit minutes ; ensuite
égouttez le beurre, et mettez-y un peu de blond de veau ; faites mijoter
pendant quelque temps, et n'oubliez pas, en servant, l'expression d'un jus
d'orange, dont l'acide bénin s'accommode très bien avec le caractère
naturellement doux et flexible du Maquereau. Ce petit ragoût, fait avec soin,
et peu dispendieux, offre, dans cette saison, une excellente entrée d'une
confection facile.
C’est simple et c’est rapide à faire. Reste à trouver
de bons maquereaux…
Sources : Almanach,
1ère année ; Journal des
Gourmands et des Belles, 2ème trimestre 1806.
*Hâtelettes : Petits morceaux délicats que l’on fait cuire à
la brochette avec un hâtelet. (Littré)
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