Alexandre et Rosalie (dans Nina)
Le 15 mai est le jour, ou jamais, d’évoquer une chère amie de La Reynière, Rosalie Dugazon, une comédienne de sa génération, un peu oubliée aujourd'hui, qui savait à merveille jouer, chanter et danser. Elle faisait d’ailleurs partie d’une famille d’artistes renommés. Son père, François-Jacques Lefebvre, était danseur et maître de ballet. Son frère, Joseph était un violoniste réputé. Sa fille, Rose, fut elle aussi une grande actrice, mariée au très célèbre danseur italien Vestris.
Spécialisée dans les rôles de soubrettes, sa voix avait ceci de caractéristique qu’elle était claire et agile, dans un registre intermédiaire entre la voix soprano et celle d’alto (une mezzo-soprano « ronde »). Elle a laissé son nom à cette voix particulière et rare, de soprano Dugazon.
Parmi les rôles qui lui valurent le plus de succès, il y a celui de Nina, dans Nina ou la Folle par amour, drame lyrique en prose mêlé d’ariettes de Dalayrac et Marsollier, créé à l’opéra-Comique le 15 mai 1786. D’où ce billet. Nous sommes un 15 mai.
Pendant des années, les mélomanes n’eurent que ce nom à la bouche : Nina! Nina, avec la Dugazon, toujours ! Alors quand arrive l’air Quand le bien-aimé reviendra, tous retiennent leur souffle. Quand Rosalie le chante, ils sont véritablement bouleversés, et sortent les sels. Puis arrivent ces paroles déchirantes, Hélas, le bien-aimé ne reviens pas ! Alors là, tous s’effondrent en larmes. À vous d’en juger dans ce joli enregistrement.
Quand Rosalie a chanté Nina à Lyon le 3 juillet 1788 - c’était à l’occasion du passage d’une ambassade de Tipû Sahib, le Sultan de Mysore, Canara, Calicut, Bisnagar et Travancore, surnommé le Tigre de Mysoreen raison de sa très grande cruauté et de sa passion pour les tigres - il y avait dans la salle du Grand Théâtre de Lyon une certaine madame Verneuil, mélomane lettrée et malheureuse en amour, qui lui dédia quelques vers qui évoquent la puissance de jeu de la Dugazon :
Ô toi ! qui dans Nina fais couler tant de pleurs !
Apprends-moi ton secret pour émouvoir les cœurs.
En termes de séduction, il est vrai que la Dugazon savait faire :
Couchée à même le gazon
Oui, sur sa peau blanche et fraiche
On en voit le duvet blond
Les deux moitiés de ma pêche
Ont arrondi le beau sein
De ma douce Dugazon.
Ces vers sont de l’abbé Barthélémy (à ne pas confondre avec Jean-Jacques Barthélémy l'auteur du Voyage du jeune Anarcharsis en Grèce), auteur d’une amusante grammaire, La Cantatrice grammairienne ou l’art d’apprendre l’orthographe française seul, sans le secours d’un maître, par le moyen de chansons érotiques, pastorales, villageoises, anacréontiques &c.
Avez-vous aimé Hélas, le bien-aimé ne reviens pas ? Oui ? Hélas, depuis 1852, on ne joue plus Nina. Quel dommage !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire