À celles et ceux qui ont lu ma dernière chronique (5 mai) : oui, je suis allé vérifier chez mon fromager. Je vous l’affirme, il prétend un jour que le mois de mai est le mois de l’époisse, le lendemain que c’est celui du camembert, et le surlendemain, celui de la mozzarella (il est vrai qu’il est d’origine italienne). Mais il oublie l’essentiel. S’il avait lu La Reynière, ce que je lui ai conseillé, il devrait savoir qu'au rayon des produits laitiers, le roi du mois de mai, c’est le beurre.
Oui... Le beurre ! Notre
beurre, avec ses 4.500 ans d'histoire, ce héros de notre patrimoine culinaire,
ce compagnon de tous les jours, et que nous traitons si injustement dans notre
langue : ce fleuron de la géographie gastronomique française devrait pouvoir
être décrit dans tous ses états. Or, que constatons-nous? Alors que l'huile
engendre des états huilés (recouvert d'huile) ou huileux (imbibé d'huile), pour
les cheveux, par exemple, il n'en est rien du beurre. Or, si l'Académie
française accepte cette évidence qu'une tartine puisse être beurrée, elle
refuse au croissant d'être beurreux ! Selon Elle, le croissant ne peut-être que
"au beurre". Quelle tristesse ! Quelle injustice de la part de notre
Académie qui accorde ainsi plus d'attention à ses cheveux qu'à ses mets
matinaux ! Surtout au mois de mai, quand le beurre arrive sur nos tables dans
toute sa fraîcheur.
Un mot du beurre. Les herbes étant alors dans toute leur
force, le beurre est aussi dans toute sa bonté. Le meilleur qu'on mange à Paris
vient d'Isigny l'hiver, et de Gournay l'été ; mais, quoiqu'excellents tous
deux, le premier est bien supérieur, et c'est l'éloignement seul qui l'empêche
d'arriver pendant les chaleurs. De toutes les mottes qu'on rencontre dans ce
bas-monde, celles de Gournay et d'Isigny sont les plus recherchées par les
Gourmands. Elles pèsent jusqu'à 150 livres et ce beurre a un goût de noisette
qui lui est particulier, et une onctuosité qui le fait distinguer dans les
ragoûts. C'est à bon droit qu'on l'appelle la tête du beurre. Les bas beurres,
les beurres en livre, et ceux dits de Pays, ne conviennent qu'à l'indigence.
Et pour finir, un conseil de cuisson :
Pour que les aliments préparés au beurre ne soient point
préjudiciables aux estomacs délicats, il faut qu'ils aient été cuits à feu
doux ; ou, dans le cas opposé, qu'il y ait assez d'eau dans le vaisseau
pour que l'action du feu sur le Beurre ne soit pas trop immédiate. C'est ce qui
fait que les roux incommodent presque toujours, en raison de leur
âcreté, les personnes faibles et valétudinaires: mais avec de tels
tempéraments, on ne saurait prétendre au titre de Gourmand. L'estomac d'un vrai Gourmand doit être, comme les
casemates d'une ville de guerre, à l'épreuve de la bombe.
Alors alors… Êtes-vous Gourmand ?
Sources : Almanach des
Gourmands, 1ère année, 4ème édition
(1810) et 8ème année (1812)
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