Portrait d’une dynastie pâtissière : MM. Rouget Père et Fils
M. Rouget Père était pâtissier, rue Saint Honoré, à un jet
de pierre de l’hôtel des Champs-Élysées, où habitait Grimod de La Reynière. Ses
galantines avaient l’odeur du paradis mais le goût du péché, nous
dit Alexandre, et
il était le premier pâtissier de Paris, surtout dans la
partie des entremets et du petit-four ; ce qui comprend les tourtes
sucrées, les tartelettes, les gâteaux d’amandes, les darioles, les meringues,
les brioches et ces innombrables pâtisseries légères qui suivent tous les
caprices de la mode et qui font aujourd’hui la gloire et les délices des Thés.
Ses biscuits étaient connus dans toute l’Europe, et nous savons de bonne part
qu’il en a même été question chez l’Empereur de Chine.
Rouget le fils a surpassé le père en innovations : il est à
jamais connu pour avoir monté des pâtisseries en forme de scène d’opéra. C’est
lui qui a inventé la pyramide circulaire sur les gradins de laquelle reposent
des petits paniers en feuilletage garnis d’une crème cuite à la pistache, et
bordés tout autour de feuilles de fleur d’orange pralinée – ce qu’on appelle de
nos jours une pièce montée.
Rouget Père était digne de figurer parmi les Officiers du
Jury Dégustateur. La Reynière lui attribua le poste de Chancelier et de Garde
des Sceaux, une manière de saluer l’homme, mais aussi toute la profession
des Pâtissiers, dont les progrès dans l’art de tout ce qui se cuit au four, en
sucré ou en salé, avaient été très-remarquables au cours de la Révolution.
Rouget Père et Fils réunis ont eu le record des citations
dans l’Almanach des Gourmands : plus d’une vingtaine de fois dans
la seule édition de 1804 ! C’est dire si ces Artistes étaient des Amis
très-chers d’Alexandre, au point de les confondre dans l’échelle de l’Amitié.
Il est d’ailleurs arrivé que le fils remplaçât le père dans les charges de
chancelier, et inversement, tant ils égalaient en mérites, amabilité, bonne
humeur et goût pour les chansons paillardes.
Rouget Père ne trouvait rien de plus drôle que d’inventer de
délicieux gâteaux en leur attribuant un nom dérivé de celui d’une comédienne,
maitresse plus ou moins passagère d’Alexandre. En toute complicité bien sûr.
La Fanchonnette, première création dans un genre
qui illustre les liens étroits entre le Vaudeville et la Gourmandise, date de
1804. C’est un hommage à madame Henri-Belmont, grande actrice du Théâtre du
Vaudeville, célèbre pour son interprétation de Fanchon, femme au
caractère bien trempé mais dont il n’est pas avéré qu’elle fût une maitresse
d’Alexandre. La Décade Littéraire de 1803 nous indique en outre que
« la véritable Fanchon la vielleuse, après avoir joui
quelques années de sa vogue bizarre et de sa fortune déshonorante mourut d’un
coup d’épée que lui donna un militaire quelque peu brutal pour punir un soufflet
qu’il en avait reçu, et qu’il s’était peut-être attiré. »
Voilà ce que dit Alexandre de ces fameuses tartes (Fanchons)
et tartelettes (Fanchonnettes) meringuées garnies d’une crème à la
vanille, en remarquant que ses impressions touchent moins aux talents de scène
de Mme Belmont qu'à ses qualités plastiques :
On ne pouvait mieux caractériser cette aimable pâtisserie
qu’en lui donnant un nom qui rappelle l’actrice charmante qui a créé avec tant
de succès, au Théâtre du Vaudeville, le rôle de Fanchon ; et s’il est
permis de comparer une jolie femme avec une pièce de four, on peut dire qu’aux
yeux des friands connaisseurs, les Fanchonnettes sont une image de fraîcheur du
teint, de la délicatesse des traits, et du velouté de la peau, qui distinguent
le visage de madame Henri-Belmont.
Après les Fanchonnettes, les Minettes, du
nom de Minette Menestrier dont Alexandre est tombé amoureux alors qu’elle avait
à peine dix-sept ans (et lui près de quarante-cinq !). Rien ne prouve une
liaison mais tout porte à le croire, à moins que ce ne fut avec Augustine, la
sœur ainée, avant qu’elle ne devienne l’amante du marquis de Cussy, futur
préfet du Palais de Napoléon, et ami indéfectible d’Alexandre jusqu’à sa mort,
quelques semaines avant celle d’Alexandre, en 1837.
Les Augustines sont citées dans plusieurs menus
conçus par Alexandre, mais il n’a laissé aucune description de cette autre
création de Rouget. Tel n’est pas le cas des Minettes, dont
Alexandre parle avec émotion. Les places respectives qu’occupent les Minettes
et les Augustines dans la littérature gourmande de La Reynière
sont-elles en proportion de celles que leurs inspiratrices avaient dans le cœur
d’Alexandre ? Nous ne sommes pas loin de le penser, d’autant que Minette
Menestrier était une comédienne du Théâtre de Vaudeville, ce que n’était pas sa
sœur : pour Alexandre, l’argument est déterminant. Il n’a jamais aimé que
deux classes de femmes, ses cousines et des comédiennes.
Lisons l’Almanach des Gourmands à la bonne page,
celle du baptême des Minettes lors d’une séance du Jury dégustateur,
celle, précisément, où Minette Menestrier a été admise comme « Sœur »
du Jury. C’était le 16 janvier 1810 :
Fins, mignons, sveltes, et respirant le bon goût et
l'esprit par tous les pores, ces Gâteaux ont obtenu l'assentiment général ; et
comme il s’agissait de les baptiser, on a cherché, dans l'assimilation de leurs
qualités avec celles d'une des aimables Candidats de cette Séance, le nom qu'il
fallait leur donner ; en sorte que, d'une voix unanime, le Jury Dégustateur les
a proclamés Gâteaux à la Minette. C'est donc sous ce nom qu'ils ont été
produits dans le Monde ; et quoique non encore annoncés, il s'en fait
déjà, chez M. Rouget, un débit prodigieux. Tout porte à croire que les Gâteaux
à la Minette se placeront un jour à côté de ces aimables Fanchonnettes,
imaginées aussi par M. Rouget, et dont le succès, depuis six ans, ne s'est
point encore démenti.
Si vous êtes pâtissier, ou si vous l’étiez, quel gâteau
feriez vous ?
Les meilleures réponses seront publiées sur ce blog, et leurs
auteurs recevront un joli petit cadeau.
Sources : Almanach des
Gourmands, 3ème 7ème et 8ème année
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