dimanche 1 septembre 2019


En exclusivité universelle : La Reynière, au jour le jour à Paris, en août 1794. Ce n’est plus la Terreur mais ça y ressemble.


Avez-vous passé un bon mois d'août? Oui ? Bien! Pour la Reynière, celui de 1794 ne fut pas de meilleurs, mais suivons-le jour à jour, c'est émouvant et parfois surprenant !

Montagnards, Jacobins et Cordeliers passés au fil du rasoir national, la Terreur n’est pas pour autant terminée : La Terreur fut encore longtemps à planer sur nos têtes écrira Alexandre. On n’égorgeait plus par centaines, on n’emprisonnait plus par milliers, mais la stupeur régnait encore, et régna longtemps ; et la famine qui l’accompagna n’était guère propre à renouer les liens de la société, surtout à table.
Tout de même, en ce mois d’août, la chape de plomb posée sur Paris se fait moins lourde. Alors qu’en juillet 935 personnes avaient mis la tête dans la petite fenêtre (l’expression est d’Olympe de Gouges), la guillotine raccourcit au ralenti en ce mois d’Aout : 21 décapitations seulement. Chez Alexandre, les visites se font plus nombreuses, d’anciennes amitiés réapparaissent et quelques bonnes surprises déclenchent même des moments de joie - le 8 et le 22 aout.
La vie sociale reprend. Les visites reçues se font plus nombreuses, quoique rendues par un petit nombre de personnes (Neveu, le peintre ; les Daigremont ainé et cadet ; l’ancien secrétaire particulier de Laurent de La Reynière). Les visites rendues sont elles plus diverses. Il s’agit principalement de personnes qui pourraient résoudre les problèmes d’Alexandre : la libération de sa mère et de la comtesse d’Ourches, éviter la ruine et faire sauter sans trop de dommages ces sceaux qui ferment un nombre important de pièce de l’hôtel de la rue de l’Élysée et vaut à Alexandre la présence d’un gardien à demeure. Alexandre retourne au théâtre, l’occasion pour lui de dire le mal qu’il pense de ce qui est joué sous la République et de regretter le bon temps de la Comédie Française avant qu’elle ne soit scindée en deux : d’un excellent tout, on fit deux médiocres moitiés, écrira-t-il dans le Censeur dramatique, journal décadaire publié en 1797/1798, truffé de ces critiques vis à vis du Directoire, qui, non sans une pointe d’humour censura ce Censeur aigri et ingrat. Quoiqu’il en soit, en ce mois d’aout, La Reynière renoue avec le milieu du Théâtre qui fut le sien dans les années 1780-86 : ses acteurs, et surtout ces actrices - il rêve d’en détrousser un bon nombre.
Du côté de la table, le régime s’améliore. De la rue Saint Honoré à la Halle en passant par la rue Montmartre : peu à peu, les étals se remplissent. Alexandre reçoit à table. Et même,  le 24 aout : un très bon et trop gros dîner chez sa mère. Il est vrai qu’il est question de fêter sa sortie de prison. Ne nous y trompons pas, cependant, le régime est souvent frugal, parfois réduit au pain sec (le 28 aout). Les rats ont disparus de la table de La Reynière, certes, mais cette course permanente aux cerneaux de noix et aux cassonades cache mal l’angoisse du Gourmand toujours sur sa faim.
En ce mois d’aout, deux faits marquants pour Alexandre.
Le premier est la libération de sa mère le 22 aout. Elle avait été emprisonnée le 20 février 1794 à la prison des Piques, non pour être l’épouse d’un ancien fermier général, mais pour avoir hébergé sa nièce, Maximilienne Baudot de Sainneville, épouse divorcée du Comte d’Ourches : un émigré.
Le deuxième : un réveil brutal à 7h30 le 28 aout, dû à l’explosion de la poudrerie de la plaine de Grenelle, qui causa de nombreux dégâts à l’hôtel de la rue de l’Élysée et en fit éclater presque toutes les vitres (ainsi que les sceaux, mais ceux-ci furent remplacés dans la matinée). Cette explosion est considérée comme l'accident industriel le plus important qui n'ait jamais eu lieu en France.
Malgré un début de liberté, les journées d’Alexandre sont réglées par un rite implacable. Le matin, ce sont les courses en ville. Dans les commerces de bouche ; chez de libraires ; chez des marchands de musique (étonnant pour un homme qui aimait si peu la musique, mais peut-être était-ce pour le compte d’Adélaïde, sa maitresse folle d’opéra.) ; chez des parfumeurs à la recherche de quoi poudrer sa perruque ; au Singe Vert (tabletier, c’est à dire marchand de meuble et d’objets en bois), où il achète des bilboquets à plusieurs reprises - voilà des achats à répétion bien étonnants pour un manchot.  Et l'après-midi, des visites à domicile et des promenades elles aussi immuables : Champs-Elysées, Tuileries et Palais-Royal où Adélaïde déguste des glaces au Café de Foy - cet établissement où Camille Desmoulins à moitié ivre avait excité les foules le 12 juillet 1789.
L’ennui, la routine, voilà ce qui domine de la journal de cet homme qui a toujours rêvé d’une vie réglée, avec ses « - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad » ; ses « Promenade avec mad. aux Tuileries et Palais-Royal – Glaces au caffé de Foi » et ses « retour au logis - Souper avec mad - Lecture - Coucher à … » : reconnaissant le vide des principes que j’avais adoptés et qu’il n’y a pas de bonheur sans ordre, écrira-t-il de sa retraite à Villiers sur Orge. Romantique avant l’heure,  La Reynière aurait pu écrire, le temps de cette Terreur et de ses suites : Le jour succède au jour et la peine à la peine (Lamartine, Méditations, mais j’eusse été lui, j’aurais mis la phrase au pluriel).
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Vendredi 1er août
Séjour à Paris – Visite à M. Le Cocq*, sorti – à M. Portallier - retour au logis - Dej – Perruq - dîner avec Madame – Visite de Mme Bouvet - de M. Daigremont* – des Delles Marion – Lecture - Promenade avec mad. aux Tuileries et Palais-Royal – Glaces au caffé de Foi*** – M. Petit - retour au logis - Souper avec mad – Visite de M. Daigremont - Lecture - Coucher à 12h½
* Probablement une des personnes qui pourraient l’aider à obtenir la libération de sa mère. Mais, par une espèce de comique de répétition, M. Le Cocq est toujours « sorti » (voir billet du mois de juillet).
** En fait : d’Aigremont (comme à beaucoup d’aristocrates, la révolution lui a fait avaler sa particule). Hormis ce journal, on ne trouve nulle trace d’un d’Aigremont dans les écrits de La Reynière, ni dans les biographies qui lui ont été consacré. Il s’agit probablement d’un parent de Laurent de la Reynière, signalé par Antoine Lilti dans Le monde des salons, Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle (à propos d’une mystification extrêmement drôle dont Laurent de La Reynière fut victime et qui aurait à elle seule mérité un chapitre du GRIHL). A moins qu’il ne s’agisse de son frère… Dans la suite de son journal, Alexandre fait référence à M. Daigremont, et à M. Daigremont l’aîné.
*** Célèbre établissement crée en 1749, sis au Palais Royal, galerie de Montpensier, n° 57 à 60, depuis 1784. Il était réputé pour ses Glaces. C’est juché sur une table du Café de Foy que Camille Desmoulins lança son fameux Aux armes citoyens ! Voir le GRIHL pages 33 et ss.

Samedi 2 août
Séjour à Paris – halle, paniers rendus – écrevisses – fraises – verjus – artichaux – Épicier rue Montmartre – noix- melon – Cerneaux rue S.Honoré près les Feuillants* - retour au logis – Dej – Lect. – Perr. - dîner avec Madame et M. Fleury** – Visite de M. Daigremont - Lecture – Visite de M. Daigremont - Souper avec mad - Lecture - Coucher à 11.¾ &c.
* Et voilà que subitement, les étals se remplissent !...
** … et que pour fêter cela, Alexandre invite M. Fleury à souper ! Fleury : sociétaire de la Comédie Française (1750 – 1822) cité dans le GRIHL  pages 245 à 268.

Dimanche 3 août
Séjour à Paris – Ravaudeuse – Visite à Mme de Vauruisseau - Visite à M. Le Cocq, sorti - retour au logis – Perruq. - Dej – dîner avec Madame - Lect. – visite à ma mère - retour au logis – lecture – visite de M. de Verneuil* -  Lecture – Visite de M. Neveu** – il assiste à notre souper – Souper avec mad - Lecture - Coucher à 12 heures &c.
* En réalité Grimod de Verneuil, parent éloigné de Laurent de La Reynière. Grimod de Verneuil deviendra plus tard président du jury dégustateur fondé par Alexandre en 1803. Vous en trouverez le portrait dans le GRIHL (pages 243 à 245 ; 306, 323).
** Peintre aujourd'hui oublié (cité dans le GRIHL pages 81 et 244 si vous souhaitez en savoir plus).

Lundi 4 août
 Séjour à Paris – Visite à M. Pons de Verdun* - tête à tête et conversation intéressante avec lui - M. Berthellemot** – M. Duval – halle, fraises – Rue Montmartre, melon - retour au logis – Perruq. – Déjeuner - dîner avec Madame et M. Neveu – Lect. – avec mad. M. Petit - M. Neveu nous y rejoint avec M. Gérard***, peintre - tous 4 au nouveau théâtre de l’Opéra rue Richelieu**** – Répétition de divers morceaux de musique et chant par les acteurs de ce théâtre - retour au logis – Souper avec mad – Lect. - Coucher à 11h. ¾.
* Philippe-Laurent Pons de Verdun (1759–1844), avocat puis homme politique avant d’être proscrit comme régicide en 1818, il fut un des premiers compagnons de frasques d’Alexandre (GRIHL pages 65, 88, 140 et 244).
**Confiseur célèbre de la rue de la Vieille Boucherie, cité p. 245 du GRIHL 
*** François Gérard (1770-1837) surnommé Le roi des peintres et le peintre des Rois, élève de David. Encore peu connu en 1794, la célébrité lui viendra avec Bélisaire en 1795 puis Psyché et l’Amour en 1799. Second Prix de Rome (1789) ; baron d’Empire (1809) ; professeur à l’École des Beaux-Arts (1811) ; membre de l’Institut (1812) ; premier peintre du Roi (1817).
**** Le Théâtre-National, construit en 1792-1793 par Madame de Montansier sur l’emplacement actuel du Square Louvois qui jouxte la rue de Richelieu, passa sous le contrôle de l’Opéra quand la Montansier fut emprisonnée sous la Terreur. L’ouverture officielle de la nouvelle salle de l’Opéra eut lieu le 7 août 1794. A sa sortie de prison, la Montansier créa le « Théâtre-Français» avec l’ancienne troupe du Théâtre-National et des Comédiens de l’ancienne Comédie-Française – les autres occupant la salle Feydeau. Ainsi, écrira Alexandre dans le Censeur Dramatique (1797) à propos de la Comédie-Française, d’un excellent tout, on fit deux médiocres moitiés (GRIHL, page 268.) La salle Richelieu fut détruite en 1820 après l’assassinat du duc de Berry.

Mardi 5 août
Séjour à Paris – recherche de la rue Challier, c’est celle des Mathurins – Bureau du journal du Soir*, rue Macon de Chartres – M. Costel - Bureau du journal du Soir, rue de Chartres abonnement pour 3 mois et ½ Cerneaux rue S. Honoré près les Feuillants - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad et M. de Verneuil et la petite Bouvet – Visite à M. Daigremont, malade - Promenade avec mad. aux Tuileries et Palais-Royal – Glaces au caffé de Foi- M. Petit - retour au logis – Souper avec mad – Lecture - Coucher à 11h. ¾. &c.
* Le Journal du Soir de politique et de littérature, imprimé par les frères Chaigneaux (Jean-Marie et François dit l’Ainé) de 1792 à 1811 : journal d’opinion royaliste, il fut censuré pendant le Directoire car considéré « ennemi de la république » (cf. Histoire des journaux et des journalistes de la révolution française (1789-1796) de Léonard Gallois)
annonçait les nouvelles de la journée ; tout son mérite, si c’en est un, consistait, je ne dirais pas dans son exactitude, mais dans sa régularité ; c’est à dire qu’il paraissait régulièrement tous les soirs à la même heure. Ils ont été les bienheureux du siècle, ceux qui pouvant dompter à leur gré leur conscience, lui ont commandé de se taire, et ont pu prendre sur eux de flatter tous les Partis régnants alternativement. (in : Dictionnaire néologique des hommes et des choses de Louis-Abel Beffroy de Reygny. Vous l’aurez relevé de vous-même, le Journal du Soir ne doit pas être confondu avec le Journal du Soir sans réflexion, 1790-1791, lui aussi imprimé par les frères Chaigneaux, qui publiait les débats de l’Assemblée Constituante. ??Il publia en outre le testament de Louis Xvi, qui fut aussi le sien en raison des déboires que cela lui causa ???.


Mercredi 6 août
Séjour à Paris – museum* – retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad – Visite avec elle à M. Daigremont, puis ensemble au Th. du Vaudeville** où l’on joue L’Arlequin afficheur***, la 1ère représ. de L’Auberge isolée**** et La chercheuse d’Esprit*****. 1ère pièce assez jolie, 2ème médiocre avec des intentions comiques. La 3ème de l’ancien répertoire de l’Opéra Comique - retour au logis – Souper avec mad – Lect - Coucher à 11h. ¾.
* Museum central de Arts de la République (le Musée du Louvre)
** Rue de Chartres
***L’Arlequin afficheur, comédie-parade en un acte en prose, mêlée de vaudevilles de MM. Radet (M., Jean Baptiste), Desfontaines, Barré (M.)
****L'Auberge Isolée, comédie en un acte, en prose, mêlée de vaudevilles, de Charles-Jacob Guillemain.
*****La chercheuse d'esprit, opéra-comique de Favart, mis en vaudeville par MM. Gersain  et Gabriel


Jeudi 7 août
Séjour à Paris – M. Trianon solde – Museum – Visite à M. Le Cocq – Cerneaux rue S. Honoré - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad et M. G. Bouvet – Visite à ma mère – Comité revol. de la section des Piques - retour au logis - Visite avec mde à M. Daigremont – Lecture en chambre - Souper avec mad. Lect. - Coucher à 12h. ½.

Vendredi 8 août
Séjour à Paris – Comité revolut*. de la section des Champs-Élysées - Visite à ma mère – à M. Garnier rue Thévenot, sorti – Bouquetière rue aux Fers, bouquet command. pour le 10**. – M. Duval – Convention - Cerneaux rue S. Honoré - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mde et Mad. Pelletier de …., visite de M. Piores ; visite de M. de Verneuil – Visites aux dlles Marion, fonds remis - retour au logis - Visite à M. Daigremont - Souper avec mad. et M. Neveu – Lecture – Visite de M. Gay*** – joie de le revoir libre – Détails intéressants sur sa captivité – Lect. - Coucher à 1. ½.
* Créés le 21 mars 1793 dans chaque section de commune, les Comités de surveillance révolutionnaire eurent initialement pour objet de surveiller les étrangers présents sur le territoire et d’en établir la liste. Leurs compétences furent peu à peu élargies à « l'application des lois révolutionnaires et des mesures de sûreté générale et de salut public ». Après la chute de Robespierre le 28 juillet 1794, ils eurent le droit de prononcer l’élargissement des détenus, ce qui explique la présence d’Alexandre au Comité Révolutionnaire des Champs-Elysées, en ce 8 août. Pourquoi la section des Champs-Élysées et non celle des Piques, où était incarcérée Suzanne de La Reynière ? Peut-être parce que l’Hôtel de La Reynière était à la jonction des deux sections.
** Veille de la Sainte Suzanne
*** Jean-Baptiste Gay était le secrétaire particulier de Laurent Grimod de La Reynière. Il avait été incarcéré à la prison  de piques le 20 février avec Suzanne de la Reynière (ainsi que la nièce de cette dernière, Maximilienne Baudot de Sainneville, comtesse d’Ourches). Il avait épousé Sophie Nichault de la Valette, écrivaine et salonnière. Une de leurs filles, Delphine Gay, écrivaine et journaliste, fut l’épouse d’Émile de Girardin. Alexandre était très sensible au charme de Sophie Gay, alors qu’elle-même s’intéressait plus à sa fille adoptive (GRIHL, pages 235 à 243, 367. 369, 387, 389, 290).

Samedi 9 août
Séjour à Paris – Tribunal de Paix du 2ème Arrondissement cloître des Jacobins*, attente, conciliation avec M. Garnier** fondé de pouvoir de Mme….. Juge honnête et respectable. – M. Duval – Ravaudeuse rue Royale - retour au logis – dej – Visite de M. Gay - perruq – dîner avec mad. et M. Gay &c. – Visite avec Mde à M. Daigremont où vient l’abbé Morrelet***, conversation intéressante – retour en chambre – Souper avec mad. Lecture – coucher à onze heures trois quarts &c.
* Le couvent des Jacobins était situé rue Saint-Honoré sur l’emplacement actuel du Marché Saint-Honoré. Désacralisé en 1790, il devint le siège du Club des Jacobins. La Sections des Piques faisait partie du 2ème arrondissement de Paris.
** Il est possible que la conciliation portât sur l’un des nombreuses dettes que Laurent de La Reynière a laissées à sa mort et qui justifiaient les saisies dont nous avons parlé.
***L’abbé Morellet (1727-1813), écrivain et encyclopédiste, membre de l’Académie française fut une personnalité majeure de l’Ancien Régime. « Il touchait en pensions et en gratifications environ trente mille livres de rente, somme énorme pour l’époque, mais la Révolution vint renverser cette fortune. » (Wikipédia)

Dimanche 10 août
Séjour à Paris – Visite à M. Pons de Verdun - Rue aux fers, bouquet – dej – Perruq – dragées arrangées – dîner avec mad. – Lect – visite à ma mère – fête souhaitée - retour au logis – Visite avec mad. à M. Daigremont – Visite de M. Neveu – avec lui et Mde promenade aux Tuileries – Concert – Illuminations, grand concours de monde – retour au logis -  souper avec mad. – Lect - coucher à 12h ¾

Lundi 11 août
Séjour à Paris – M. Batilliot - Solde du compte de M. de Fortia* – Visite à Monsieur… sorti – M. Batilliot solde de deux factures de M. de Fortia - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad. et mad. Bouvet. Lect.  – Visite à M. Daigremont - retour en chambre – Lect. - Souper avec mad.– coucher à 11.¾
* Alphonse Fortia de Piles (1758 – 1826), personnage haut en couleur, mystificateur célèbre avec son complice Pierre Marie Louis de Boisgelin de Kerdu et ami d’Alexandre depuis le début des années 1780 Il fut d’ailleurs l’un des participants du célèbre souper du 1er février 1783. Beaucoup de récurrences dans le GRIHL (dont pages 80, 83, 84, 139, 284, 285, 327, 364, 380). 

Mardi 12 août
Séjour à Paris – M. (Nouvelle vient) – M. … bureau du Moniteur -  Visite à M. Dazincourt**, sorti – M. Duchesne – M. Berthellemot – (en sortant huiles préparées rue S. Honoré, provision d’huile) – Cerneaux rue S. Honoré – Bureau des huiles – Ravaudeuse - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad. et M. Gay – Visite de MM. Musset et Augier*** – Lect – Visite à M. Daigremont - Souper avec mad. – Lect. coucher à 12h. 
* Fondé par Charles-Joseph Panckoucke, la Gazette nationale ou le Moniteur universel parut du 24 novembre 1789 au 31 décembre 1810. Il relatait notamment les travaux des assemblées et est une source d’information importante sur la révolution française. Il devint l’organe officiel du gouvernement à partir du 27 décembre 1799. Panckouke avait aussi repris Le Mercure Galant en 1785 (il en garda la direction jusqu’en 1798).
** Acteur (1747-1809) entré à la Comédie française en 1776 où il fut un célèbre Figaro. Cet Acteur a un talent formé, un jeu raisonné, beaucoup d'intelligence, de finesse & de vérité. Il est bon comédien, sans être farceur, & plaisant sans être outré (Mercure de France). Ami d’Alexandre dans les années 1780, il fut l’un des participants du fameux Souper du 1er février 1783 de même qu’il fut l’une des membres régulier du Jury dégustateur crée par Alexandre. Donc beaucoup de récurrences dans le GRIHL (dont pages 65, 79, 245, 249, 341, 348, 367) ;
*** Augier est le gendre d’Edme Restif de la Bretonne, qui dénoncait celui-ci quand lorsqu’il écrivait des grafitis sur les ponts de Paris (ses Inscriptions).

Mercredi 13 août
Séjour à Paris – Visite à M. Fleury – M. Bignon*, Md de Musique, palce du Louvre – Visite à M. Le Coq, sorti - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad. (Avant-diner, visite à M. Gay) – Lettr. – visite à ma mère – à M. Joly de Fleury** - retour au logis –Avec Mde. Palais-Royal, caffé de Foi- M. Petit - retour au logis – Lect. – Visite de M. Gay, qui mange du dessert avec nous – Lect. – coucher à 12. ¾
* MBignon, marchand de musique, place du Vieux Louvre, à l'Accord parfait.
**Joly de Fleury : Homme politique de l’Ancien régime, qui parvint à yraverser la période révolutionnaire sans être inquiété.

Jeudi 14 août
Séjour à Paris – M. Maradan* - M. Batilliot – M. Caille – Visite à M. Dazincourt, sorti – Portef. Cloître S. Germain - Cerneaux rue S. Honoré ­
retour au logis – dej – perruq  – dîner avec mad. et M. Fleury, visite de M. e Verneuil – Visite avec M. Fleury et Mde à M. Daigremont – Retour en chambre à 7 h – Lect.- Souper Mad ; et M. Gay – Lect. – coucher à 12. ¾.

Vendredi 15 août
Séjour à Paris – M. Laurent –Lecture aux Tuileries – halles, artichaux, pêches, amandes – Épicier rue Plâtrière, anchois - Cerneaux rue S. Honoré – melon Porte S. Honoré - retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad. – M. Le Camus et M. Neveu – Aloyau. Ebriété - M. Le Camus aimable et bon convive – 3 heures de repos - Souper ou plutôt thé avec mad. – Lect. – coucher à 11. ¾ &c.

Samedi 16 août
Séjour à Paris – M. Laurent – M. Bignon – halles, pêches – romaine rue du fbg S. Honoré – retour au logis – dej – perruq – Lect – Dîner avec mad. et M. de Verneuil – Seul, comédie française où l’on joue La Métromanie* et Les fausses confidences** – Rentrée de Fleuri, Dazincourt, Naudet, Melle Contat***, enthousiasme extatique et bien fondé du public, perfection du jeu de ces premiers sujets, dans la 2ème pièce surtout, changements faits à la salle, concours prodigieux de spectateurs. On demande à la fin du spectacle, fl(eury). daz (incourt). et  Melle Contat, ils sont couverts d’applaudissement. Grande jouissance pour les vrais amateurs de a Comédie, rejouis de voir renaître l’ancien théâtre françois - retour au logis – comédie finie à 10.½ - Souper avec mad. et M. Neveu – Lect. – coucher à 12. ¼.
* La Métromanie, ou le Poète est une comédie en 5 actes et en vers d'Alexis Piron écrite en 1736 au château du Raincy, domaine du marquis de Livry, protecteur de l'auteur, et représentée pour la première fois au château de Berny en 1737, puis à la Comédie-Française le 10 janvier 1738.
** Les Fausses Confidences est une comédie en trois actes et en prose de Marivaux jouée pour la première fois le 16 mars 1737 par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne. 
*** Fleury, Dazincourt, Naudet et Melle Contat sont tous des membres de la Comédie française, resté fidèles à l’Institution après la scission de 1793.

Dimanche 17 août
Séjour à Paris – M. Trianon solde – Museum – reconnaissance avec M.       – M. Bignon – Jeu de Paume de la rue Mazarine * - Je vois jouer M. Fleury, Piault de Saint-Martin, Dupin, député – Cerneaux rue S. Honoré - retour au logis – dej – perruq – Lect – Dîner avec mad. – Visite de M. Daigremont – de Mde Barbier – visite à ma mère - retour au logis – Lect. - Visite de M. Daigremont - Souper avec mad. - Lect. – coucher à 12h. &c.
* Au 10-14 de la rue Mazarine était situé le jeu de paume des Metayers, où fut créé l'Illustre Théâtre en 1643, par Molière et sa troupe. Atelier du peintre Joseph Vernet.

Lundi 18 aout – 1er Fructidor
Séjour à Paris – Ravaudeuse – M.     M(archan)d de musique, rue S. Honoré, femme honnête et gracieuse – M. Bignon, M. Deslauriers M(archan)d de musique rue Mazarine – M. Cousineau, id. rue Dauphine – M. Batilliot -  M. Breguet* horloger, maître des horloges, montres sonnant les minutes et autres sonnant seules – M. Petit – M. Desenne, reconnaissance – rencontre chez lui de M. Nervet** - retour au logis – dej – perruq – Lect – Dîner avec mde et M. Gay - Visite de M. Daigremont, de M. de Verneuil – visite à Mde Moreau de Beaumont***, ma tante, invisible - à M.       sorti, retour au logis - Souper avec mad. - Lect. – Dispute sur le temps - coucher à 12h.
*Abraham-Louis Breguet fut l’élève du célèbre Ferdinand Berthoud, horloger mécanicien du roi et de la marine, cité dans Les Tontons flingueurs. Vu sur le site de Breguet :

Abraham-Louis Breguet quitte sa région natale de Neuchâtel à l’adolescence. Il effectue son apprentissage d’horloger à Versailles et à Paris. C’est en 1775 qu’il ouvrira son atelier dans l’île de la Cité à Paris; grâce à l’abbé Marie, qui le prend sous son aile, il sera présenté à la cour de France qui ne tarde pas à faire partie de la clientèle du jeune horloger. Forcé de quitter la France aux sombres heures de la Révolution, il y revient dès 1795 pour poursuivre son activité. Le Journal de La Reynière nous informe donc que l’atelier de M. Breguet était restée ouverte pendant son absence.
** Nervet : homme d’affaires de la famille de Noailles.
***Jean-Louis Moreau, né le 28 Octobre 1715 , Seigneur de Beaumont, Conseiller au Parlement de Paris le 20 Décembre 1736, Maître ... Il a épousé, en Mai 1743 , Marie-Françoise Grimod, fille de Gaspard Grimod, Sieur de la Reyniere, Fermier général, & de N. Labbé, sa première femme. Moreau de Beaumont (+ 1785) était le beau- frère de Malesherbes : ils avaient épousé deux sœurs Grimod de La Reynière.

Mardi 19 aout
Séjour à Paris – Visite de M. Neveu – de M. Roberjot* de Mâcon – Lettr. – Dej. Perruq- Dîner avec mad. – Visite de M. Daigremont – lett – Visite de Mde et de M. Duqua – de M. de Verneuil – visite à ma mère – Retour au logis - Lect. - Visite de M. Daigremont – souper avec mad et M. Gay – feu de l’Abbaye** – Lect. Coucher à 12h.
* Claude Roberjot (2 avril 1752 – 8 avril 1799), ecclésiastique et député suppléant de Saône et Loire à la Convention Nationale. On peut voir son buste dans le vestibule du monument des archives au ministère de affaires étrangères.
** Il s’agit de l’Abbaye de Saint-Germain des Prés, victime d’un incendie accidentel qui dévasta sa bibliothèque. Dom Poirier, qui était Garde des Archives nationales de l’Abbaye, écrît au préposé des bibliothèques d’Amiens : « On sauvera quelque chose de la bibliothèque, mais bien peu. C’est une grande perte car elle était bien précieuse pour la littérature des XVIème et XVIIème siècles, dont les monuments sont rares à la fin du XVIIIème siècle. Mais consolez-vous, les manuscrits sont sauvés. Peut-être y en aura-t-il de perdus ou d’égarés dans la confusion et le trouble du transport », formule sans doute pudique pour dire qu’au feu succédèrent vols et pillages.

Mercredi 20 aout
Séjour à Paris – Singe Vert rue des Arcis* – M. Duval – Visite à M. Mercier, hôy-tel des fermes, reconnaissance, réception touchante. Sa façon de penser humaine ; promesse de se revoir, offres de services. – Maison Villeneuve, nouvelles de M. de Jarente. Epicier rue Montmartre – M. Petit – M. Desenne – Cerneaux rue S. Honoré – Ravaudeuse - retour au logis – dej – Lettres - perruq – Visite de M. Neveu – Dîner avec mad. – Visite de M. Daigremont – de M. de Verneuil – Lettr. Promenade avec mad. aux Champs-Elysées – Rencontre de M. Musset – Rencontre de M. Neveu , promenade avec mad. et lui aux Tuileries et au Palais-Royal – glaces avec mad. au caffé de Foi – M. Petit – retour au logis - – Dîner avec mad. - Visite de M. Daigremont – Souper avec mad. – Visite de M. Gay – Coucher à 1heure ½ &c. 
* Bernard François VAUGEOIS, MD TABLETIER FABRIQUANT /Au Singe Vert / Rue des Arcis/ n°56, l'autre gravé d'un singe et inscrit Au Singe Vert, accompagnée de jetons, boîtes et règles de jeux. 
« M. Vaugeois, rue des arcis, toujours l’orfèvre des Philosophes, vient d’être nommé Singe vert du Jury dégustateur. C’est assez dire que tout ce qui sort de ses ateliers est parfaitement bien traité. Aucun Singe noir rouge, bleu ou violet même, etc. aux yeux impartiaux des vrais connaisseurs. » Almanach des Gourmands, 6ème année, page 301.
 Selon une notice d’Artcurial : « François Vaugeois est installé aux Halles, 176 rue des Arcis dans le quartier où sont réunis les artisans de cette corporation. Son enseigne au Singe Vert est curieusement similaire à celle de son confrère Martin Guillaume Biennais le Singe violet, qui lui a ouvert boutique près des Tuileries. » ce qui permet de comprendre l’allusion d’Alexandre au Singe Violet : il n’apprécie guère l’art de M.G. Biennais  « fournisseur officiel du Premier Consul devenu Empereur, notamment pour les pièces d'orfèvrerie » tandis que « Vaugeois jouit d'une riche et prestigieuse clientèle. La baronne d'Oberkirch dans ses Mémoires sur la cour de Louis XVI et sur la société française avant 1789 mentionne son passage le 25 juin 1784 au Singe Vert, tabletier en vogue de la rue des Arcis (…). Le 17 février 1786 elle fait de l'endroit, où il y a toujours foule de beau monde, son but de promenade. » « Le tabletier est celui qui a " L'art de faire toutes sortes de pièces délicates au tour et autres menus ouvrages en ivoire, écaille et bois précieux tels que jeux de trictrac, dames, échecs, tabatières, peignes… ". Les statuts de la corporation ont été renouvelés par une ordonnance de septembre 1741 : la communauté comprend dès lors les " maîtres et marchands peigniers, tablettiers, tourneurs, mouleurs, piqueurs, faiseurs et compositeurs de bois d'éventails, marquetteurs, tourneurs et tailleurs d'images d'yvoire et enjoliveurs de leurs ouvrages ". Ils ont le droit de fabriquer des bois d'éventail, des jeux, des dés, des croix, des tabatières, des peignes d'ivoire, d'écaille ou de buis. L'édit royal de 1776 les réunit aux luthiers et aux éventaillistes. » 

Jeudi 21 aout
Séjour à Paris – Lecture aux Tuileries – visite à M. de Fleury, sorti – à M. Dazincourt, id. – M. Boutelou, graveur 1 rue S. Hyacinthe, en prison – Abbaye de S. Germain – Dégâts de l’incendie – Livres à demi-brûlés – Visite à M. Augier , sorti – Cartier, rue de l’échelle Libr. Cour du manège – retour au logis, grosse pluie – Dej. – Lettr – Perruq.- Dîner avec mad. Visite de M. Daigremont – Visite de Mde Ferrand et de M. Daigremont l’aîné – Visite de M. de Verneuil – Lettr. – Promenade avec mad. au Tuileries et au Palais-Royal – Glaces au caffé de Foi – M. Petit – retour au logis – Visite de M. Daigremont – Souper avec mad. – Lecture – coucher à 12h &c.

Vendredi 22 aout
Séjour à Paris – Lettr. – Déjeuner - Perruq – Dîner avec mad. et M. Neveu - Visite de M. Daigremont – Visite à Mde de Beaumont, sortie – Retour au logis, avec mad. et M. Neveu – On joue L’Apothéose de Barra*, déjà commencée, et la Caverne** – 1ère pièce pitoyable, ni intrigue, ni intérêt – 2ème mauvais parti tiré du roman de Gil Blas, caractères dénaturés, invraisemblants point d’intérêt – Musique savante, dit-on, jeu des acteurs forcé – retour au logis avec mad. – Nous apprenons la sortie de prison de ma mère, et son installation chez elle – Nous y descendons – souper en bas, avec mad. ma mère, M. et Mde Lecoq, M. Gay, et le commissaire du Comité de Sûreté Générale qui a délivré ma mère – Joye – après souper, salon, conversation sur les prisons…. Remontée en chambre – coucher à 1heure ½.
* L’apothéose du jeune Barra : Tableau patriotique en un acte mêlé d’ariettes, représenté sur le Théâtre de la rue Feydeau le 17 Prairial de l’an 2 de la République une et indivisible. Paroles de F.P Léger et musique de L. Jadin. L’époque fut propice en « Apothéoses » de héros de la Révolution, présentés comme de jeunes martyrs révolutionnaires Barra, Marat, Mirabeau… Les transcriptions théâtrales des cérémonies publiques en hommage aux martyrs de la Révolution française, ces Apothéoses en strophes ou en vers, contribuent puissamment à construire une mémoire collective, à la solliciter par l’imaginaire et l’émotion que tue parfois dans les défilés urbains un trop-plein de références académiques. De Mirabeau à Viala, en passant par Beaurepaire, Marat et Bara, au gré des événements et des nécessités révolutionnaires, le discours et l’esthétique évoluent considérablement, à la recherche d’une pédagogie des contemporains illustres que la décennie ne parvient pas véritablement à fixer, quoique d’une création à l’autre l’on répète volontiers ce que le Panthéon inscrit à son fronton : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». (Serge BIANCHI (dir.), Héros et héroïnes de la Révolution française, Paris, CTHS-Société des études robespierristes, 2012, p. 139-158.

Samedi 23 aout
Séjour à Paris – Lecture aux Tuileries, Boite de M. Neveu – M. Fargeon*. MM. Legret, Bréavoine et Faure, chargeurs rue Tireboudin, information demandées sur ma Caisse de Parfums égarée** – Parfumeur rue Françoise – Epicier rue Montmartre – M. Petit – M. Erambert parf. Rue S. Honoré, renchérissement de la poudre – ravaudeuse rue Royale - retour au logis – Dej. – Lettr – Perruq.- Dîner avec mad. – visite à ma mère – promenade avec elle au jardin où surviennent MM. Daigremont l’aîné, et Dugua – Je remets à ma mère les Bijoux que j’avais à elle – Remontée en chambre – Pétition rédigée – Visite à M. Neveu – Il va promener avec mad. – Seul. Lecture - retour au logis – avec M. Gay, comité révolutionnaire de la section, Pétition accueillie, bonne réception – Retour au logis avec M. Gay – Chez ma mère – en chambre, souper avec madame et M. Neveu – Lecture – Coucher à 12h ½. 
*Jean-Louis Fargeon fut le parfumeur attitré de Marie-Antoinette. Il réussît cependant à échapper à la guillotine à la suite d’un habile plaidoyer : « On m’accuse d’avoir servi les ci-devant nobles. J’ai fabriqué des parfums à leur usage, mais ils possédaient les goûts et les moyens qui faisaient d’eux ma clientèle naturelle. J’ai souffert de leur légèreté et de leur négligence à payer leurs dettes, qui m’ont conduit à la banqueroute. J’ai eu le plus grand mal à rétablir mes affaires. .. »
Plus tard, dans ses Almanachs des Gourmands, Alexandre citera Fargeon dans quasiment chaque édition. Son art dans le domaine des parfums est tel, nous dit-il, que le public devrait regretter de ne pas pouvoir en déguster ses composants : « … M. Fargeon, l’une des premières maison de parfumerie de Paris Nous avons cité avec éloges qu’il mérite son eau de fleur d’orange, son eau de Cologne, et ses cloux odorans, comme trois choses dont un Gourmand doit se pourvoir chez lui ; et nous ajouterons que nous avons eu occasion de déguster de la crème de fleurs d’orange et de l’huile de rose, sortie de ses alambics, et traitées de manière. À faire vivement regretter que les liqueurs ne soient pas un des objets de son commerce. » (Almanach des Gourmands, 3ème année, 1805, p. 119). Alexandre en fit même un mètre étalon de la gastronomie : « Le lapin sauvage, nourri de thym, de marjolaine, de serpolet et d’autres herbes odoriférantes est le véritable parfumeur d’un bon garde-manger. C’est le Fargeon de la cuisine. » (Almanach des Gourmands, 1ère année, 3ème édition, 1804, p. 29). Pour les curieux disposant d’un peu de temps, nous renvoyons à la collection complète des Almanachs (9 années, environ 3.000 pages, mais les tables des matières sont très bien faites.). Nous recommandons particulièrement la page 280 de la Première année Quatrième édition : « Quoique le plus habile et le plus célèbre parfumeur de Paris n’ait aucun rapport avec la cuisine, nous ne pouvons nous empêcher de nous arrêter un instant dans la belle fabrique de Madame Veuve Fargeon et fils, rue du Roule, pour y goûter son excellente eau de fleurs-d’orange si digne d’aromatiser les meilleurs entremets sucrés ; pour faire l’essai de son admirable eau de Cologne, qui a la propriété particulière de rappeler promptement à la vie tous ceux qui sont tombés en syncope à la suite d’une indigestion ; et pour respirer le parfum de ses pastilles de la Cour et du Sérail, tant au cèdre qu’à l’ambre, si nécessaires pour embaumer et purifier l’atmosphère des salles à manger, après les repas. » (Almanach des Gourmands, 1ère année, 4ème édition, 1810, p. 279).
** Les lecteurs auront remarqué, peut-être en souriant, que même pendant la Terreur, Alexandre portait perruque, et la poudrait chaque jour dans un cérémonial quotidien imperturbable : « retour au logis – Dej. – Lettr – Perruq.- Dîner avec mad. ». La poste ayant égaré une caisse de ces précieuses poudres et parfums l’amène à faire le tour des parfumeurs de Paris, dans une course que l’on sent désespérée.


Dimanche 24 aout
Séjour à Paris – Visite à M. Fleury, sorti – Je vois madame de Sainville*, sa sœur, femme aimable et d’un très bon ton – Conversation sur Marseille et sur la Comédie française – Singe Vert, bilboquet – M. Bosse, sorti – Parfumeur rue française, poudre** – M. Desenne - retour au logis – Dej. – Lettr – Perruq.- Dîner avec mad. en bas chez ma mère, avec elle seule – très bon et trop gros dîner – Visite, en bas, de M. Nervet et de M. Pujet, fils - remontée en chambre – Lettr. – avec mad. chez M. Neveu, au Louvre, Thé – avec M. Granet***, de Toulon, M. Marec****, député, M. Millet, ingénieur, ex-constituant, gens de mérite et plusieurs autres personnes dont M. de Normandie, liquidateur général*****, et dames delles, conversation intéressante avec M. Granet sur la Provence et la politique – avec M. Millet sur les voyages de M. La Pérouse – dont il est rédacteur – entraves singulières et puériles apportées à la publication de cet ouvrage – Théière cassée , point de thé, point d’assiettes, point de serviettes. Punch faible – Je sors mourant de faim – Nous sommes accompagnés par MM. Neveu et Normandie, par Mme Campana, et Mme Millet – conversation avec cette dernière sur M. de Saint-Pierre, détails intéressants sur cet homme célèbre – Rentré à 12 heures  - Souper par cœur****** – Lecture – coucher à 1 heure. 
*Madame Sainville est citée dans le GRIHL, page 252, quand elle intervint auprès de Collot d’Herbois, puis de Danton pour faire libérer son frère, emprisonné comme les autres comédiens de la Comédie française. Le premier lui répondit : Les temps sont bien changés. Maintenant, tu viens me supplier, mais n’espère rien ; ton frère est un aristocrate, il dansera comme les autres.  Et le second : On ne m’attendrit pas, vous demandez l’impossible.
** La course à la poudre n’est donc pas terminée. Maudite poste !
*** Probablement François Marius Granet, peintre, bien qu’il ne s’installât à Paris qu’en 1796. 
**** Pierre Marec (31 mars 1759 - 23 janvier 1828) député du Finistère – Modérés.
***** M. Denormandie fut « Directeur particulier » à la Direction générale de la Liquidation de la dette publique.
****** Diner ou souper que l’on sent, mais auxquels on n’a pas accès : « L’on est rarement à Paris dans le cas de Dîner par Cœur, parce que ce repas s’y fait à tant d’heures différentes qu’un homme qui n’a point de ménage, qui fait profession de manger en ville, et qui connaît beaucoup de monde, est presque sûr de trouver un dîner depuis midi jusqu’à sept heures du soir, selon les maisons ; sans parler des ressources des Restaurateurs qu’on rencontre à chaque pas, et chez lesquels le couvert est toujours mis. Il n’en est pas de même à la campagne. On se rend dans une maison où l’on n’est point attendu ; le maître et la maitresse de maison sont absents, dans le voisinage ou ailleurs, il n’importe ; suffit que la marmite est renversée, et qu’on y dine point…Les valets, en l’absence des maîtres, ne lui offrent ni un verre d’eau ni une chaise ; il faut qu’il s’en retourne incontinent ; et que, s’il ne connaît personne dans le voisinage, il revienne à Paris comme il en était venu, c’est à dire sur ses deux jambes et l’estomac vide. (Almanach des Gourmands, 5ème édition, page 8.)


Lundi 25 aout
Séjour à Paris – Lecture aux Tuileries – Visite à M. Le Cocq, sa colère sur la politesse de ma mère – Rue aux fers, un mercier, cordonnet de soye – Rue S. Denis, au p. de famille, soye à tricoter – halle, Artichaux, fraises, citrons – M. Petit, rencontre de M. Margueri, reconnaissance – Cerneaux rue S. Honoré - retour au logis – Dej. – Perruq.- Dîner avec mad. et M. de Verneuil – Visite de M. Daigremont – Théâtre français, parquet – on joue le père de famille, par Naudet, Fleury, S. Phal, d’Azincourt, Champville, Caumont, Melles Lange, Mezeray*, de Vienne &c. – disparates, vuide et peu d’ensemble. Coupures ridicules. – Jeu intéressant et sublime de M. Fleury, Naudet, froid ou pleureur, Melle Lange trop compassée, trop formée pour Sophie – Melle Mezeray pas assez pour Cécile ; en tout représentation qui aurait pu être plus soignée mais dont quelques scènes ont encore rappelé les beaux jours de la Comédie française – On donne ensuite la Servante maîtresse que je ne vois pas – pendant ce temps, loge de Fleury – il ne peut venir dîner aujourd’hui – S. Phal s’habille dans la même reconnaissance – retour au logis – en chambre – visite à ma mère – exhortation sur les réformes à faire dans sa maison – Coup de vigueur – M. Gay me seconde – Souper avec mad. et M. Gay – Coucher à 12h ½ &c.
* Alexandre avait un affection toute particulière pour ces deux actrices et celles qu’il éprouvait pour la Mezeray fut pour le moins tumultueuse (voir le GRIHL pages 267 et ss.).

Mardi 26 aout
Séjour à Paris – Visite à M. Aze*, à la Campagne – Singe Vert (M. Vaugeois) Bilboquet à 10 pièces – M. Boullanger, commis de M. Breguet**, sorti – Je l’attends 20 minutes en vain – M. Pochet thé – Épicier rue Montmartre – Cassonade – Cerneaux rue S. Honoré – retour au logis Commissaires de la section de l’agence, des domaines etc.. Scellés vérifiés pour le changement d’un gardien, reconnaissance avec les C.C. La Maignière, Juge de Paix et Vaudemont greffier – Déjeuner – Perruq – Visite de M. Neveu – Dîner avec mad. Et M. Daigremont – visite à ma mère (visite de M. Musset) – J’y trouve le Com. qui l’a délivrée ; plaidoyer en faveur de Mde Dourches***, discussion avec son gardien, conduite honnête du Commissaire – remontée en chambre – Lecture – visite de M. Daigremont – Promenade avec mad au Palais-Royal – glaces au caffé de Foy – retour au logis – Je descends chez ma mère et l’attends en vain une demi-heure dans le salon – Porte qui se ferme quand on me dit d’entrer. Je remonte dans ma chambre et refuse de nouveau de descendre – Souper avec mad. Lect – coucher à 12h. 
*voir l’introduction du mois de juillet du Journal, et lew pages 69 et suivantes du GRIHL.
** voir Lundi 18 aout
*** Maximilienne Baudot de Sainneville, épouse divorcée de Charles d’Ourches, nièce de Suzanne de la Reynière et que cette dernière hébergeait rue de l’Elysée. Toutes deux furent emprisonnées à la prison des Piques le 2 ventôse de l’an II de la République. Quand Suzanne fut libérée le 22 aout, Maximilienne fut transférée au Luxembourg, et libérée le 24 brumaire. 

Mercredi 27 aout
Séjour à Paris – descente à l’office, conférence avec M. Radamel* fabricant de chocolat – Prix 20s par Livre de façon – M. Trianon, solde, Épicier rue Montmartre – Cassonade – Visite à M. Neveu, sorti – Museum – retour au logis – J’y trouve M. Neveu et M. Daigremont – Perruq – Règlement de compte  pour ma mère et dispute avec les Cuisinier – Visite de M. Dugua – dîner avec mad. – visite à ma ère – longue conversation sur les affaires, ses projets de réforme etc. – en chambre – Lecture agréable et plaisante – M. Aze, commodités de la prison etc. – en chambre – Lect. Souper avec mad. - Lecture – Coucher à 12h 1/2 &c. 
*Dans ses Itinéraires gourmands, Alexandre conseille d’aller au Café de Conti boire une tasse du chocolat sorti de la fabrique de M. Radamel, située rue Dauphine. (Almanach des Gourmands, 1ère année, 4ème édition, 1810, p. 281).

Jeudi 28 aout
Séjour à Paris – Rue aux Fers – Singe Vert – M. Nouvelle, cordonnier rue de la Joaillerie – Palais, Mde Aze – M. Boullanger, tourne vis de M. de Fortia - Je lui donne ma montre à nettoyer – Épicier rue Montmartre – M. Coster – retour au logis - Déjeuner – pain sec – Lettr. – Perruq- Dîner avec madame – et M. Neveu – humeur – Mde va promener avec M. Neveu – Lecture – Mad revient à 8h ¾ - Lect. Visite à ma mère à 9h ½ Souper avec mad. Lect. – Coucher à 12h ¼

Vendredi 29 aout
Séjour à Paris – Lettr. – Visite de M. Gay, conversation sur les affaires de la maison – Lettr. – Perruq. – dîner avec mad et M. Gay – visite de M. Daigremont – Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, tuileries et palais-royal – glaces au caffé de foy – M. Petit – retour au logis – visite avec mad à ma mère – en chambre – souper avec mas. Lect. Coucher à 12h. ½

Samedi 30 aout
Séjour à Paris – Ravaudeuse, rue Royale – Singe Vert, bilboquet – M. Duval – Épicier rue Montmartre - retour au logis – Déjeuner – Perruq – dîner avec mad. Lecture - visite de M. Daigremont – &c. – Lecture –  visite à ma mère – (que j’avais dejà vue le matin) – remontée en chambre – Souper avec mad. Lecture - Coucher à 12h.

Dimanche 31 aout
Séjour à Paris – Terrible réveil à 7h30 – explosion du magasin à poudre* de la plaine de grenelle** – Carreaux de vitres fracassés- descente avec mad. – dégat dans toute la maison – en chambre – Lecture – Dej. – Commissaire vient reposer les scellés*** - Perruq – Diner chez ma mère avec mad., M. Daigremont et M. Gay – remontée en chambre – Lecture – Promenade avec mad. aux champs-élysées , tuileries et palais-royal – M. Petit – retour au logis – visite à ma mère – souper par cœur avec mad. – coucher à 12h&c. 
* L’explosion du 31 aout 1794 est la catastrophe industrielle la plus importante qui ce soit produite en France. A 7h30, le 31 aout 1794, entre 30 et 150 tonnes de poudres explosèrent en trois fortes détonations provoquant plus de 1.000 morts. Les alentours subirent des dommages considérables, comme la destruction du couvent des visitandines situé à Chaillot. Le souffle de l’explosion provoqua la destruction de nombreuses vitres à travers toute la ville et de vitraux dans presque toutes les églises de Paris.
**La plaine de Grenelle s’étendait des Invalides au quartier de Javel. Jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, la plaine était une zone agricole alluvionnaire avec comme construction principale le château-ferme de Grenelle, composé d’un hôtel seigneurial, une chapelle, des étables, une grange, des annexes (situés sur l’emplacement actuel de la place Duplex). L’abbaye de Saint-Germain, propriétaire du terrain en céda en 1751 la parcelle sur laquelle fut construite l’École Militaire. En 1790, le château devint bien national et fut transformé en poudrerie.
 *** Sans doute avaient-ils été brisés par le souffle de l’explosion.

*

Dans un mois, vous saurez tout des journées du mois de septembre 1794 d'Alexandre de la Reynière.


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Et si vous l'avez déjà lu, et que vous l'avez aimé, vous aimerez aussi La femme sans prénom, à découvrir ici! Tout aussi passionnant!








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