dimanche 28 juillet 2019

En exclusivité universelle : La Reynière, au jour le jour à Paris, en juillet 1794, durant les dernières heures de la Terreur

Après une petite parenthèse de huit mois, La Reynière est de retour sur un mode particulier mais passionnant : son journal intime du 4 juillet 1794 au 1er avril 1795. Ce document est exceptionnel, en ce qu’il permet de voir le quotidien d’un Parisien pendant cette période trouble, mais aussi par son style : un style télégraphique qui ne laisse aucune place à la pensée, sauf quelques rares exceptions et jamais à des considérations politiques. La froideur des propos atteint son sommet les 28 et 29 juillet, dates de l’arrestation de Robespierre et de son exécution, qu'il note en passant, de retour du Palais-Royal où il a dégusté des glaces au célèbre café de Foy.

Un petit rappel pour ceux qui ont lu cet admirable roman biographique qu’est Grimod de La Reynière, Itinéraires d’un homme libre (en abrégé : GRIHL); et quelques précisions de contexte pour celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu, mais qui gagneraient à le lire, il est en vente ici, en version papier et en version numérique pour une somme dérisoire. 

Après huit ans d’exil (GRIHL pp. 115 à 220), Alexandre est de retour à Paris (GRIHL pp. 221 à 228). Il se retrouve dans l’hôtel La Reynière, rue de l’Elysée, avec sa mère, qu’il déteste et aime tout à la foi (odi et amo, comme disait Catulle), et Adélaïde, sa maitresse depuis 1788 (GRIHL pp. 157 à 160) Adélaïde, avec qui les passions amoureuses appartiennent à un passé lointain. Là, il dispose vraisemblablement d'un appartement au premier étage de l’hôtel, sa mère occupant, seule, le reste. Malgré le luxe (passé) de l’hôtel (GRIHL pp. 77, 78) cette villégiature n’a rien d’engageant : à la guillotine sous les fenêtres de l’hôtel, au bruit de la foule assoiffée de sang, s’ajoutent la disette, le froid et la solitude. Pire encore : les créanciers du père d’Alexandre (Laurent, décédé le 27 décembre 1793 après avoir causé sa propre ruine) ont fait apposer les scellés à nombre de pièces de la prestigieuse résidence, avec quelques gens d'armes à demeure. En juillet 1794, la mère d’Alexandre (Suzanne) est en enfermée à la prison des Piques. Elle y a été expédiée le 20 février, soit à peine une semaine après le retour d'Alexandre à Paris. Durant le mois de juillet, il lui rendra visite à six reprises (les 3, 7, 11, 16, 22 et 30 juillet).

Le journal de La Reynière reflète la monotonie de sa vie au quotidien durant les 28 derniers jours de la Terreur, les maigres emplettes, les rares visiteurs, et en creux, les amis disparus. 

Le matin, il parcourt les marchés et les commerces de bouches : on apprend ainsi la réalité des approvisionnements de Halles, sur laquelle La Reynière, plus tard, écrira des pages superbes mais en partie mensongères, dont le célèbre : Pendant les années désastreuses de la Révolution, il n’est pas arrivé un beau turbot, ni un esturgeon, ni un saumon à la Halle. (Almanach des Gourmands, 6ème année, p. 58.). Pour cela, il parcourt Paris chaque jour ou presque jusqu'à la halle et la rue Montmartre. Les récoltes sont maigres, avec son "point de marée" récurrent. Nul doute qu'il commence là sa cartographie des fournisseurs et artistes de Paris, qui fera le succès de l'Almanach des Gourmands, dès la première Année (1803). De cela, il est rendu compte par le menu dans le GRIHL pp. 259-261, puis 275 et ss.

Il lui arrive d’aller au Museum central de Arts de la République (le Musée du Louvre), aux postes, chez des libraires (rive gauche), au tribunal criminel assister à quelque procès (dont le viol d’une fille de trois ans par un garçon de quatorze et demi : il lui a donné du mal, commente-t-il sèchement). Enfin, il rend visite à des personnes qui pourraient l’aider à obtenir la libération de sa mère. Parmi ceux-là, un certain M. Le Cocq, hélas toujours « sorti » (15, 16, 21, 25 et 26 juillet). 

Puis, immanquablement, à l’heure du déjeuner (à l’époque, 11 heures) c’est le retour au logis, avec la séquence imperturbable : Déjeuner avec Madame (c’est ainsi qu’il nomme Adélaïde Feuchère, bien qu’ils ne soient pas mariés) – lecture - écriture de lettres - et « perruque » : à cette époque La Reynière continue à porter la perruque, uniquement l'après-midi apprend-on ainsi, après l’avoir peignée et poudrée. Il reçoit généralement des visites, ou lit. Puis arrive l’heure du dîner (vers 16h00), toujours avec madame, parfois accompagné d’un de ses rares visiteurs. Hélas, La Reynière ne souffle mot de ses menus. On n’en connaît que des ingrédients trouvés le matin : rien de bien excitant.

Vient alors l’heure de la promenade, toujours avec madame, qui les mène des Champs-Elysées, aux Tuileries et enfin le Palais-Royal pour manger des glaces au fameux café de Foy, et où ils rencontrent toujours les mêmes personnes, dont un certain M. Petit. Au lieu de la promenade, ce parfait connaisseur et amateur du théâtre français va quelque fois au théâtre mais rarement (24 et 26 juillet), et ce qu’il y voit lui donne raison : les textes contemporains sont affligeants, et les quelques pièces classiques qui ont franchi l’épreuve de la Censure (rétablie par un arrêté du 24 avril 1794) sont mal interprétées. Rappelons qu’entre septembre 1793 et mai 1794, les comédiens français avaient été expédiés en prisons, les hommes à Sainte-Pélagie et les femmes aux Magdelonnettes (à lire ou relire : GRIHL p. 248 et ss.). Et la suppression du privilège des Comédiens-Français en 1792 a provoqué une floraison de théâtres qui jouent des pièces "citoyennes" dans le style alors en vogue, le vaudeville, c'est à dire des pièces légères en général en musique, qu'Alexandre considérera légèrement (à la suite d'un repas solide, un très joli dessert - écrira-t-il dans le Censeur Dramatique, volume 1 p. 44, 1797)

Puis c’est le retour au logis à nouveau, soit par le même chemin, soit par les boulevards. Arrive l’heure du souper avec madame, puis de la lecture et afin d'aller se coucher. Parfois  : une visite nocturne de M. Daigremont.

La vie sociale de La Reynière est réduite. Parmi les quelques visiteurs réguliers, on notera ce M. Daigremont. Il s’agit en fait de M. d’Aigremont (comme à beaucoup d’aristocrates, la révolution lui a fait avaler sa particule). Hormis ce journal, on ne trouve nulle trace d’un d’Aigremont dans les écrits de La Reynière, ni dans les biographies qui lui ont été consacré. Il s’agit peut-être d’un parent de Laurent de la Reynière, signalé par Antoine Lilti dans Le monde des salons, Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle (à propos d’une mystification extrêmement drôle dont Laurent de La Reynière fut victime et qui aurait à elle seule mérité un chapitre du GRIHL). On notera aussi M. Neveu, un peintre aujourd'hui oublié (cité dans le GRIHL pages 81 et 244 si vous souhaitez en savoir plus) ; et M. de Verneuil, en réalité Grimod de Verneuil, parent éloigné, qui passe beaucoup de temps à se chamailler avec Neveu. Grimod de Verneuil deviendra plus tard président du jury dégustateur fondé par Alexandre en 1803. Vous en trouverez le portrait dans le GRIHL (pages 243 à 245 ; 306, 323). Enfin, Alexandre croise à plusieurs reprises M. et Mme Aze, personnages importants dans sa vie. M. Aze, en particulier, cet argentier et vendeur de chandelles qu’Alexandre considérait comme l’un des plus grands philosophes, est omniprésent dans le GRIHL. Un chapitre entier lui est consacré, ainsi qu’à son épouse (p. 67 et ss). 

Un mot pour finir sur le journal. Comme souvent, en ce qui concerne Alexandre, le conditionnel est de rigueur. Le dernier possesseur du journal serait M. Arthur Johnson. Alors qu’il était consul des États-Unis à Rome, en 1955, il en aurait transmis une copie dactylographiée sur papier pelure vert à M. Pierre Gaxotte, qui fit à ce propos un article dans le Figaro en avril 1955. Depuis, il est dit que l’original a été perdu ou volé…
J'ai conservé la graphie utilisée par Alexandre, tout en corrigeant quelques erreurs du tapuscrit, bien compréhensibles tant l'écriture d'Alexandre est illisible (voir ici)


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Jeudi 3 juillet
……M. Augier fils – visite à ma mère* – retour au logis - visite de M. Musset – Promenade aux Champs-Elysées avec Mde, M. Augier fils et M. Musset ; ce dernier nous régale de glaces – promenade aux Tuileries avec Mad. et M. Augier, qui nous quitte au Pont Royal – retour au logis – souper avec mad. – Visite de M. Daigremont – Lecture – coucher à 11¾

* Comme indiqué plus haut, Suzanne de La Reynière était incarcérée à la Prison de la Section de piques au motif d'avoir hébergé une nièce, Maximilienne Baudot, épouse du comte d'Ourches, émigré. Maximilienne fut incarcérée le même jour dans cette même prison, ainsi que Jean-Baptiste Gay, l'ancien secrétaire particulier de Laurent de La Reynière (GRIHL p. 237 et ss.). La section des Piques (nouveau nom de la place Vendome) était l'une des 48 sections de Paris créées en 1790.Elle couvrait le quartier Madeleine-Vendôme. C'était l'une des plus importates de Paris, et l'une des plus radicales aussi. Robespierre et le marquis de Sade comptèrent parmi ses membres les plus connus.

Vendredi 4 juillet
Séjour à Paris* – Visite à M. Vaudemont, greffier du juge de paix de la section - ancien domicile de M. l’anc. Ev. D’Alais – halle artichaux – Epicerie rue Montmartre sucre - retour au logis – visite de M. Biot - Joallié, la véritable adresse rue Quincampoix – Dej. – perruq –dîner avec Madame – visite de Monsieur Daigremont  – de Monsieur Le Roux – de Madame Bléchamps – lecture – je vais joindre Mme et Mde Bléchamps** aux Champs Élysées -  rencontre de Monsieur Neveu ; nous reconduisons tous Mme Bléchamps au bout du Palais-Royal –Caffé de Foy – glace – monsieur Neveu ramène Madame au logis – pendant ce temps, fruitière marché d’Aguesseau, romaine – Retour au logis –souper avec Madame et M. Neveu -  après souper Monsieur Neveu conduit Mme aux Tuileries entendre la musique et voir les illuminations des victoires nationales - pendant ce temps lecture - Mme revient –coucher à 12 h. & c.

* Par une espèce de maniaquerie propre à Alexandre, il prend soin de commencer chaque jour par cette précision alors que pendant les 25 années de son séjour parisien (1794 1819), Alexandre n'a jamais quitté Paris, sauf une expédition chez M. et Mme Aze, une semaine en octobre 1794.
Jeanne-Louise Philiberte Bouvet de Verneuil, épouse de Charles Jacob, seigneur de Bleschamp, avocat au Parlement, commissaire de la Marine, receveur de l’Entrepôt des Tabacs de la ville. Issue de la famille Grimod de La Reynière, elle était l'une des femmes les plus aimables et les plus spirituelles de cette époque. Son lien de parenté avec le M. de Verneuil cité à plusieurs reprises dans le journal n’est pas connu, et moins encore le lien entre ce M. de Verneuil et Alexandre. La fille de madame Bleschamp, Alexandrine, fut la seconde épouse de Lucien Bonaparte, avec qui elle eut neuf enfants. La demoiselle présentait pour tout attrait, aux amateurs, assez d'esprit et d’amabilité et une figure charmante… elle dansait comme un ange : aussi toutes ses soirées étaient bien employées.
Sources : wikipedia et Chronique indiscrète du dix-neuvième siècle, 1825. 


Samedi 5 juillet
Séjour à Paris – M. Batilliot*, Livres – Palais rencontre de M. Frogère, reconnaissance –Tribunal criminel, cause de faux assignats, contre M. de ...        et autres – Manière des juges, témoins, conversation des accusés avec les juges, M. Duval – Retour au logis – dej. – Perr – Dîner avec Mad. – Lettres – Arrivée des caisses de Lyon – Visite du petit Augier – Lect.  – je vais joindre mad aux Champs-Élysées – promenade avec elle aux  Tuileries avec la famille Augier – Monsieur Chauveaulx l’aîné professeur de mathématique à Mazarin - conversation sur ce collège et sur Chatou sa patrie – retour au logis – souper avec mad – lect – coucher à 12 h. ½ & c.

Il y avait au 107 rue de la Harpe, près de la place Saint-Michel, première porte cochère, puis à partir de 1793 au 15 de la rue du cimetière St André des Arts en entrant par la rue Hautefeuille et rue Foin-Saint-Jacques, au coin de la rue Boutebrie, une librairie tenue par Batillot ainé et son frère cadet Pierre-Louis-Sauveur.
Notice la BNF :  Libraire ; au Cap-Français, imprimeur des commissaires nationaux civils (1792) ; de la municipalité et du gouvernement (1792). - Semble avoir d'abord exercé au Cap-Français (auj. Cap-Haïtien) comme libraire (en compagnie d'un frère) avant juillet 1788, puis à partir de 1790 comme imprimeur sous la raison : "Batilliot jeune" ou "Batilliot et compagnie". Publie le "Moniteur général de la partie française de Saint-Domingue" du 15 nov. 1791 au 20 juin 1793. De retour à Paris, travaille de 1795 environ à oct. 1800 avec son frère aîné sous la raison : "Batilliot frères". Breveté libraire à Paris le 1er oct. 1812 (brevet renouvelé le 24 mars 1820).  

Dimanche 6 juillet
Séjour à Paris – muséum* – épicier rue Froimanteau**, point de cassonade – Visite à Monsieur Le Cocq – retour au logis – dej – perruq – dîner avec mad – lect. –promenade avec madame aux Champs-Élysées, Tuileries et Palais-Royal – Monsieur Petit – retour au logis – Fruitière rue Saint-Honoré, romaines – Souper avec mad. – Coucher à 12. ½

Museum central de Arts de la République (le Musée du Louvre)
** Ancienne voie de Paris qui rejoignait le Louvre au Palais-Royal. Elle fut supprimée en 1850 lors de l’achèvement du Musée du Louvre.


Lundi 7 juillet
Séjour à Paris – Muséum – Poste aux lettres – Épicier rue Montmartre – M. Petit – Retour au Logis – Déjeuner – Perruq – dîner avec Mde et Mde Bouvet de Lyon – Lect. visite à ma mère – visite aux delles Maison logées rue de Caumartin n° 30 de la part de M. de Fortia* – retour logis – seul Palais-Royal – je retrouve Mme chez Mme Gouillard – ensemble caffé de Foi glaces – Retour au logis – Souper avec mad. lect. – coucher à 12h ¾ & c.

Alphonse Fortia de Piles (1758 – 1826), personnage haut en couleur, mystificateur célèbre avec son complice Pierre Marie Louis de Boisgelin de Kerdu et ami d’Alexandre depuis le début des années 1780 Il fut d’ailleurs l’un des participants du célèbre souper du 1er février 1783. Beaucoup de récurrences dans le GRIHL (dont pages 80, 83, 84, 139, 284, 285, 327, 364, 380)

Mardi 8 juillet
Séjour à Paris – M. Trianon solde – Libr. du Museum - Épicier rue Montmartre, huile d’olive surfine 5’’10 - retour logis – Déj. – Perruq - dîner avec mad - Visite de Monsieur Daigremont  – Lecture en chambre toute la journée – ballot de livres défait – Visite de Monsieur Daigremont - Souper avec mad. – mal d’estomac fausse digestion, thé – coucher à 11 ¾ & c.

Mercredi 9 juillet
Séjour à Paris – M. Batilliot – M. Berthellemot* – épingles noires rue de la Barillerie – Palais Royal, M. Petit – ravaudeuse rue Royale, M. Batilliot - retour au logis – Déj. – Lecture - Perruq – dîner avec Madme - Lecture  – Visite de demoiselles Maison – de M. de Verneuil – promenade un moment aux Champs-Elysées, grand vent, orage, retour au logis – Souper avec mad. – Lect – Coucher à 12h.

*Confiseur célèbre de la rue de la Vieille Boucherie, cité p. 245 du  GRIHL 

Jeudi 10 juillet
Séjour à Paris – Visite à Mde Tessier - Poste aux lettres – halle, raie, citrons, abricots et figues - retour au logis – Déj. – Lecture - Perruq – dîner avec Mad. Neveu et M. de Verneuil -  Visite de Monsieur Daigremont : discussion aigre et vive de M. Neveu, radotage politique, Promenade avec Mad. aux Champs-Elysées et aux Tuileries - retour au logis - Visite de M. Daigremont - – Souper avec mad. – Lect – Coucher à 12h.

Vendredi 11 juillet
Séjour à Paris – Grand Bureau de la pet. poste rue Saint Honoré - Imprimerie de Desenne* – Rue des Moulins – autre imprimerie rue Thérèse – Conférence avec M. Partzmann, reconnaissance -  - Poste aux lettres. Brigade rue Coquillère - retour au logis – Déj. – Lecture - Perruq – dîner avec Mad. - Visite de Monsieur Daigremont – Lect. – Visite à ma mère - retour au logis – Lect. Souper avec Mad. – Coucher à  11. ¾.

Victor Desenne : Libraire de monseigneur (le) comte d'Artois (1788-1789). - Originaire de Cambrai, né avant 1752 ; neveu ou proche parent du libraire parisien Edme-Jean Le Jay, chez qui il est apprenti à partir de 1771. Reçu libraire le 31 déc. 1776. Suspendu du 4 sept. 1784 au 5 août 1785 pour vente de livres prohibés. À partir de 1791 et jusqu'en 1798, tient aussi imprimerie rue Royale, butte (Saint-) Roch (puis rue des Moulins). En faillite en sept. 1792. Publie "Le Vieux Cordelier" (5 déc. 1793 - 3 fév. 1794) de Camille Desmoulins ; arrêté le 17 mars 1794 au motif que ce journal met en cause plusieurs membres du Comité de Salut public. Libéré peu après le 9-Thermidor an II (27 juillet 1794), il publie en juin 1795 le n° 7 et dernier du "Vieux Cordelier", resté sur épreuves et posthume, C. Desmoulins ayant été guillotiné le 5 avril 1794. Victor Desenne était donc emprisonné lorsqu’Alexandre se rendit à son imprimerie.
Source : BNF data.

Samedi 12 juillet 
Séjour à Paris – Visite à M. de Vauruisseau – M. Petit - retour au logis – Déj. Perruq – dîner avec Mad. – Lettr - Visite de M. Daigremont - Souper avec Mad. – Lect. - Coucher à 1 heure.

Dimanche 13 juillet
Séjour à Paris – Visite à M. Grégoire à M. Fleury – M. Batilliot – Pont-Neuf, M. La Rose tondeur de chien – M. Pochet, thé noir et vert. - retour au logis – Déj. Perruq – dîner avec Mad. – Lettr – Lect. - Souper avec Mad. – Visite de M. Daigremont – Lect. - Coucher à 11. ½

Lundi 14 juillet
Séjour à Paris – déjeuner avec madame chez M. Daigremont – thé, sucre, crème – Lettre - Lecture – dîner avec Mad. – Lettre – Visite de M. Neveu et de M. de Verneuil – Promenade avec mad. et M. Neveu aux Champs-Elysées et Tuileries – Illumination aux Tuileries, grand concours de monde - retour au logis – Souper avec Mad. et M. Neveu – Visite de M. Daigremont – Plaisante exclamation de celui-ci sur M. Neveu. Il va avec mad. aux Tuileries – pendant ce temps lect. Retour de mad. - Coucher à 1 heure & c.

Mardi 15 juillet
Séjour à Paris – Pont Neuf, Mde Pierre, Tondeuse de chiens, je lui laisse le barbet. - M. Batilliot - Palais Mde Aze – tribunal criminel, cause de viol, un enfant de 14 ans ½ a violé une petite fille de 3 ans ½ et lui a donné du mal – halles, artichaux, point de marée depuis 3 jours - retour au logis –  Pont-Neuf, je ramène le chien – abricot porte Saint-Honoré (avant visite à M. Le Cocq, sorti – retour au logis – Déjeuner Perruquier – dîner avec Madame et M. Fleury - Visite de M. Daigremont – après-midi passé ensemble, visite de la cave* avec M. Fleuri** – puis promenade au jardin avec mad. et lui – Souper ensemble – dans la Rue avec toute la maison en fraternité*** – Promenade avec M. Fleuri et mad. – Visite des tables des rues adjacentes – Singulier coup d’œil – promenade de même aux Champs-Elysées et aux Tuileries ; il nous raconte l’histoire de sa jeunesse, comment il a été perdu jusqu’à 7 ans – Vif intérêt de cette histoire – il est frère de M. Bernard rue de la Cornemuse à Lyon . Nous l’accompagnons jusqu’au Pont-Royal – retour au logis avec madame - Coucher à 1 heure.

* La cave de l’hôtel La Reynière était réputée pour la qualité des vins et sa taille exceptionnelle (cent mille bouteille, selon ce qui pourrait tout de même être une légende)
** Il s’agit peut-être du sociétaire de la Comédie Française (1750 – 1822) cité dans le GRIHL  pages 245 à 268. 
*** Les soupers fraternels rassemblaient dans la rue riches et pauvres, amis ou ennemis, chacun apportant des plats, à la bonne franquette. Jean-Sébastien Mercier en a fait une description dans Le nouveau Paris (1798) : 
"Chacun, sous peine d’être suspect, sous peine de se déclarer l’ennemi de l’égalité, vint manger en famille à côté de l’homme qu’il détestait ou méprisait. Le riche appauvrit tant qu’il le put le luxe de sa table : le pauvre se ruina pour cacher sa misère ; et tandis qu’il avait consumé par orgueil tout le produit de sa semaine, son modeste repas l’avait fait rougir auprès de celui qui croyait s’être bien sans-culottisé. La jalousie d’un côté, les orgies de l’autre, changèrent en bacchanales soupers prétendus fraternels ; le mécontentement était général ; et ceux qui les avaient commandés, dénoncèrent comme agents de Pitt et de Cobourg tous les peureux qui leur avaient obéi." 

Tout cela ressemblait fort à notre "fête des voisins", à la différence près que les Soupers 
fraternels firent long feu. Ils ne survécurent pas à la Terreur.


Mercredi 16 juillet
Séjour à Paris – Muséum avec M. Nouvelle – M. Petit – Visite de M. Le Cocq - retour au logis – Déjeuner Perruq – dîner avec Madame – Lect - Visite de M. Daigremont – Visite à ma mère - retour au logis – promenade avec mad. aux Champs-Elysées, Tuileries, Palais-Royal. Glaces au caffé de Foi – Rencontre de M. Brière de Mondétour, reconnaissance. – M. Petit -  retour au logis – Souper avec mad - Visite de M. Daigremont – Lecture - coucher à 12h ¾ & c.

Jeudi 17 juillet
Séjour à Paris – M. Dessaq*. Libr. rue Hautefeuille – Livres de M. de Fortia, fort bel exemplaire du Voyage de Naples et Sicile de l’abbé de S. Non – M. Maille – Bureau du dépôt des lois – retour au logis – Dej – Visite de M. Bosse – Perruq. - dîner avec Madame (Commissaire du départ – de la municipalité – du Juge de la section lever le scellé sur une chambre dont a fenêtre était ouverte – Il fait mettre le scellé sur le petit salon où couche un gardien – Visite de M. de Verneuil – Promenade avec madame aux Champs-Elysées - retour au logis –  Souper avec madame – lecture - coucher à 12h ¾.

Sans doute M. Desray, rue Hautefeuille, n°4. Libraire ; éditeur et marchand de cartes et d'atlas. - En apprentissage à Paris à partir de juillet 1785. Reçu libraire le 30 oct. 1787.

Vendredi 18 juillet
Séjour à Paris – M. Trianon solde – halle, Raie, artichaux, tamis. Cerneaux rue S. Honoré - retour au logis – Dej – Lettr – Perruq - dîner avec Madame et M. de Verneuil - Visite de M. Daigremont –Lettre – Visite de Mme Bart et de ses filles – Lect. - Souper avec madame – Coucher à 12. ½

Samedi 19 juillet, 1er Thermidor
Séjour à Paris – Visite à M. Daigremont l’aîné – Épicier rue Montmartre – Bouchonnier rue des Fossés-Montmartre - retour au logis – Dej – Lettr – Perruq - dîner avec Madame – Lettre – Lecture - Souper avec madame – Visite de M. Daigremont - Coucher à 12. ½

Dimanche 20 juillet
Séjour à Paris – Tuileries, Lecture - Épicier rue Montmartre, sucre et cassonade – Ravaudeuse rue Royale - retour au logis bien chargé – Dej – Perruq - dîner avec Madame et M. Neveu - Lect – Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, tuileries – Glaces au caffé de Foy au Palais Royal - retour au logis – Visite de M. Daigremont – Souper avec madame – Lect. - Coucher à 12. ½

Lundi 21 juillet
Séjour à Paris – Lettres – Tuileries, Lecture – Visite à M Le Cocq sorti - retour au logis – Dej –Lect - Perruq - dîner avec Madame - Lettr – Lect. - Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, tuileries – Glaces au caffé de Foi au Palais Royal - retour au logis – Visite de M. Daigremont – Souper avec mad – Lect. - Coucher à 12. ¼

Mardi 22 juillet
Séjour à Paris -  Lecture aux Tuileries -  halle, citrons, artichaux, point de marée – Cerneaux, melon rue Saint-Honoré - retour au logis – Dej –Lect  - Perruq - dîner avec Madame - Lect – visite à ma mère - retour au logis – Visite de M. de Verneuil - Promenade avec mad. aux Champs-Elysées - retour au logis – Visite de M. Daigremont – Lect. - Souper avec mad – Lect. - Coucher à 12. ¼.

Mercredi 23 juillet
Séjour à Paris - Lecture aux Tuileries - halle, figues - Epicier rue Montmartre –  cassonade - retour au logis – Dej –Lect - Perruq - dîner avec Madame - Lect – Visite de M. Daigremont -Souper avec mad – Lect. - Coucher à 11. ½

Jeudi 24 juillet
Séjour à Paris – Visite à M. Fleuri – Palais, trib. Criminel, cause de bons souliers escroqués – Mme Aze – Thérèse sur le Pont-Neuf - retour au logis – Dej – Perruq - dîner avec Madame – Lect. Avec mad. – Théâtre de Vaudeville, où l’on joue le Dédit mal gardé*, la canonnier convalescent**, l’alarmiste***, première pièce mauvaise, 2° assez jolie, 3° sans intrigue - retour au logis –Souper avec mad – Lect. - Coucher à 12h.

*Le Dédit mal gardé: « divertissement patriotique en un acte, en prose et vaudevilles » de Léger et Philipon de La Madelaine, représenté pour la première fois sur le Théâtre du Vaudeville le 4 messidor de l’an IIème de la République(20 juin 1794).

** Le Canonnier convalescent, « fait historique, en un acte et en vaudeville. Par J. B. Radet. Représenté, pour la première fois, sur le Théâtre du Vaudeville, le 11 Messidor de l'an second de la République une et indivisible. » Musique de Stanislas Champein.
La pièce fut jouée 24 fois, du 29 juin 1794 au 5 février 1795.
» Ah ! si l'état monarchique
» Enfanta les abus,
» Bientôt de la République
» Naîtront toutes les vertus.

**L'Alarmiste, vaudeville en un acte, de Després, joué pour la première fois au Théâtre du Vaudeville le 21 juillet 1794, dont le thème est ce que l'on appelle aujourd'hui les fakes news. 
» Tel répand des bruits infideles
» Qui bien souvent en est l'auteur.
» Le fabricateur de nouvelles.
» Est pareil au faux monnoyeur ;
» L'un dans son avarice immonde,
» De l'or corrompt la pureté ;
» L'autre corrompt la vérité,
» Qui vaut tous les trésors du monde.

Vendredi 25 juillet
Séjour à Paris – Visite à M. Le Cocq sorti – à M. Nervet – halle, raie, artichaux – M. Costel – groseilles place du Palais-Royal - retour au logis – Dej – Perruq – Dîner avec M. et Mme Aze - Visite de M. Daigremont - &c – Lecture – Visite de M. de Verneuil – Lect. – Promenade avec mad. aux Tuileries et aux Champs-Élysées - retour au logis – Souper avec mad – Lect. - Coucher à 11. ½

Samedi 26 juillet
Séjour à Paris – Visite à M. Barthélemy Rochefort, employé au Bureau du Comité de la Marine, Hôtel de Noailles, de la part de M. Radier de Béziers. Réception polie, aimable garçon – Museum – retour au logis - Dej – Lettr. - Perruq - dîner avec Madame – Ensemble Théâtre de la République – où l’on joue La Bizarrerie de la Fortune* et Les Plaideurs** – 1re pièce romanesque, sans intérêt, mal lestée, remplie de lieux communs – 2° horriblement mal jouée retour au logis – Visite de M. Daigremont - Souper avec mad – Lect. - Coucher à 12h.

Les Bizarreries de la Fortune, ou le Jeune Philosophe, comédie en cinq actes, en prose, par le citoyen Loaisel-Tréogate, créée le 16 avril 1793 au Théâtre du Marais.
** Les Plaideurs, unique comédie écrite par Jean Racine, créée à l'Hôtel de Bourgogne en novembre 1668. 

Dimanche 27 juillet
Séjour à Paris – halle, turbot, artichaux - rue S. Honoré, cerneaux, verjus*, abricots, melon - retour au logis - Dej – Lettr. - Perruq - dîner avec Madame et M. de Verneuil - Visite de M. Daigremont -  Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, Tuileries et Palais-Royal glaces au caffé de Foi – Nouvelle de l’arrestation de Robespierre et autres députés - retour au logis par le boulevard - Visite de M. Daigremont - Souper avec mad – Lect. - Coucher à 12h. &c.

* Le verjus est le jus acide extrait des raisins n'ayant pas mûri (dits aussi raisins verts). Il peut remplacer le jus de citron ou le vinaigre dans les vinaigrettes, les moutardes, dans la préparation des plats de viande ou de poisson (wikipedia).

Lundi 28 juillet
Séjour à Paris – M. Trianon solde – Tuileries, canons, gens armes* – Museum - retour au logis - Dej – Lect – Perruq - dîner avec Madame - Visite de M. de Verneuil – visite de M. Daigremont - Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, Tuileries et Palais-Royal glaces au caffé de Foi – Exécution sur la place** de Robespierre, Couthon, Saint-Just Henriot etc. – lecture – visite de M. Daigremont- Souper avec mad – Coucher à 12h.

* Depuis le 26 juillet, Paris est en proie aux événements qui vont aboutir à l'arrestation de Robespierre et qui marquent la fin de la Terreur.
** La guillotine avait été déplacée Place de la Révolution (Place de la Concorde) à l'occasion de l'exécution de Robespierre. Elle y était déjà quand Alexandre est arrivé à Paris, jusqu'au 9 juin 1794. Ensuite, elle fut déplacée Place Antoine (Place de la Bastille) du 10 au 13 juin, puis Place du Trône-Renversé (Place de la Nation) du 14 juin au 27 juillet. 

Mardi 29 juillet 
Séjour à Paris – Visite à M. Le Cocq sorti – halle aux chiffons – M. Duval – Palais Royal M. Petit - retour au logis - Dej – Lect – Perruq - dîner avec Madame et M. Musset - &c – visite de M. G. Bouvet – de M. Neveu , avec celui-ci porte S.Honoré, passage de la Commune – retour ensemble au logis – Lect. - Promenade avec mad. aux Champs-Elysées - retour au logis - Souper avec mad – Visite de M. Daigremont - Lect. - Coucher à 11h ¾.

Mercredi 30 juillet
Séjour à Paris – Bureau de la petite poste rue S. Honoré – halle, point de marée, anguille, artichaux, prunes, abricots – rue S. Honoré cerneaux, melon - retour au logis - Dej – Perruq - dîner avec Madame et M. Neveu – visite à ma mère - retour au logis – lect. - Promenade avec mad. aux Champs-Elysées, Tuileries et Palais-Royal glaces au caffé de Foi – M. Petit - retour au logis - Souper avec mad – Lecture - Coucher à 12. ½

Jeudi 31 juillet
Séjour à Paris – Lecture aux Tuileries – poste aux lettres – halles fraises – Epicier rue Montmartre – M. Costel – ravaudeuse rue Royale - retour au logis - Dej – Lect. - Perruq – Visite de M. de Verneuil, il annonce qu’il vient d’être nommé à une place à la poste -  dîner avec Madame – Lect. – Visite de Mme Vve Piores, ….., de ses malheurs – Lect - Souper avec mad – Visite de M. Daigremont – Domino - Lecture - Coucher à 12h &c.

Dans un mois, vous saurez tout des journées du mois d'août d'Alexandre de la Reynière.

Entre temps, si vous ne l'avez toujours pas fait, vous pourrez lire Grimod de La Reynière, Itinéraires d’un homme libre, en vente ici, en version papier et en version numérique pour une somme dérisoire. Il est vrai, j'insiste, mais c'est pour votre bien.


Et si vous l'avez déjà lu, et que vous l'avez aimé, vous aimerez aussi La femme sans prénom, à découvrir ici! Tout aussi passionnant!




Bonnes lectures!








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