Et ma pension, papa!
Une fois n’est pas coutume, et fait extrêmement rare, le billet
d’aujourd’hui est consacré à une lettre d’Alexandre. Peu de lettres, elle furent pourtant des milliers, restent accessibles : éparpillées dans les mains de collectionneurs privés, beaucoup de perdues sans doute. Il en existe six à la Bnf, deux dont on peut consulter les originaux, quatre disponibles sous forme de microfiche, hélas illisibles.
Des deux à peu près compréhensibles (compte-tenu de l'écriture d'Alexandre-le-manchot, voir plus bas), j'ai pu péniblement reconstituer le texte de celle adressée à son papa le 21 juin 1791. L'effort est suffisamment notable pour que ses résultats méritent d'être partagés.
Des deux à peu près compréhensibles (compte-tenu de l'écriture d'Alexandre-le-manchot, voir plus bas), j'ai pu péniblement reconstituer le texte de celle adressée à son papa le 21 juin 1791. L'effort est suffisamment notable pour que ses résultats méritent d'être partagés.
Depuis 1788, Alexandre est installé à Lyon, où
il est tombé amoureux d’Adèle Feuchère, et où il a ouvert Le magasin de
Montpellier, une épicerie en tout genre (voir ici,
c'est quelque part là-dedans). Mais non content d’avoir, à Lyon, une maitresse et un commerce à soigner, il passe beaucoup de
temps à Béziers, auprès de sa tante Justine, dont il est amoureux.
L’objet de la lettre ?
Alexandre a toujours été un
rentier. Jusqu’à son exil à Domèvre, en Lorraine - sous le coup d’une lettre de
cachet – en 1786, Laurent de La Reynière lui servait une pension annuelle de
200.000 livres, somme tout à fait considérable. Cinq ans après, Laurent
connaît de graves difficultés financières : la faute à la Révolution et à
une regrettable opération qui ressemble fort à du blanchiment d’argent avec un
banquier de Gènes et un autre de Genève.
Du coup, Papa a
considérablement baissé la pension de son unique rejeton : la lettre nous
apprend qu’elle a été divisée par dix, ce qui reste tout a fait honorable. Pour information, si l’on considère que la Livre tournoi valait 0,3 grammes d’or, et que 0,3 grammes d’or valent aujourd'hui 11 euros, on en déduit que la pension annuelle du gamin était de 2,2 millions d’euros avant 1786 et qu'elle n’est « plus que » de 220.000 euros en 1791 !
Pire, Laurent de La Reynière n’est pas très régulier dans les versements. Alors Alexandre lui fait ses remontrances. Tel est l’objet de cette lettre, avec quelques autres observations à son cher Papa qui ne prend guère soin de sa santé. Elle se termine par un post-scriptum destiné à maman, bien tendre en apparence, qui sonne cependant, puisque qu'écrit après et par le truchement de papa, comme un reproche adressé à cette mère si peu aimante.
Le ton y est délicieusement impertinent.
Pire, Laurent de La Reynière n’est pas très régulier dans les versements. Alors Alexandre lui fait ses remontrances. Tel est l’objet de cette lettre, avec quelques autres observations à son cher Papa qui ne prend guère soin de sa santé. Elle se termine par un post-scriptum destiné à maman, bien tendre en apparence, qui sonne cependant, puisque qu'écrit après et par le truchement de papa, comme un reproche adressé à cette mère si peu aimante.
Le ton y est délicieusement impertinent.
Béziers 21 juin 1791
Mon cher Papa,
Je suis forcé d’être toujours dans le cas de vous
importuner pour le même sujet, mais c’est la nécessité qui m’y force. Il en
vient pour moi d’avoir sans cesse à vous entretenir d’objets d’intérêts et de
solliciter ce qui m’est dû comme une charité, mais ce n’est point à moi que
vous devez vous en prendre.
Le 7 de ce mois, M. Tabareau*, rencontra M.
Salmon** qui lui dit qu’il était en mesure vis à vis de moi pour le
passé et que pour l’avenir je serais exactement payé tous les dix jours comme
ci-devant. J’ignore ce que M. Salmon entend par être en mesure avec moi, mais
il est très sûr qu’excepté le petit à-compte que vous m’avez fait passer ici,
je n’ai absolument rien reçu de ma pension depuis que M. Tabareau a quitté
Lyon. Il m’est dû en ce moment le mois de mai tout entier
et les vingt premiers jours de celui-ci, ce qui fait la somme de
deux mille cinq cent livres***, et le trente de ce mois, il me sera dû mille
écus. Je ne puis vous peindre, mon cher papa, toute l’horreur de la situation
où me jette ce retard - des engagements à acquitter, des paiements à faire, des
loyers, des commis à payer, moi qui m’étais fait connaître à Lyon pour ma
scrupuleuse exactitude, il faut que je manque à tous à la fois. Le 18 de ce
mois, il n’était pas arrivé un sol pour moi à la poste de Lyon malgré votre
parole, malgré l’assurance donnée à Monsieur Tabareau. J’aime à me persuader
qu’il y a dans tout ceci plus de négligence que de mauvaise intention et
qu’assurément, on ignore les conséquences d’un semblable retard. Pour moi, je
ne les éprouve que trop, et ma santé s’altère chaque jour par l’inquiétude où
ceci me jette. Daignez, mon cher Papa, vous occuper sérieusement de me faire
payer tout de suite ce qui m’est dû. Je serai à Lyon dans vingt jours, que je
puisse y trouver au moins ma pension et avoir autre chose que de mauvaises raisons
à donner à ceux à qui je dois. Je ne vous importunerais pas si je n’étais
absolument pas contraint, bien persuadé qu’avec vous il n’y ait
aucun risque à courir. Mais si vous vous intéressez encore à l’honneur et à la
santé de votre fils, j’ose espérer que vous aurez égard à ma représentation.
Comme je n’obtiens aucune réponse des personnes qui vous
entourent et qui autrefois me donnaient de vos nouvelles, j’ignore si vous vous
trouvez bien du séjour de la campagne où je sais que vous êtes depuis le
commencement de ce mois. Il paraît que vous avez renoncé au voyage que vous
deviez faire à Boulogne sur mer, et que vous vous contenterez d’aller
quelquefois à celui qui avoisine Auteuil. Si j’avais autant de crédit sur votre
esprit que je prends d’intérêt à votre santé, je l’aurais employé à vous
persuader d’aller à des Eaux Thermales dont vous pourriez espérer votre
guérison. Je suis forcé de me borner à des vœux ardents, mais stériles, tant
que vous refuserez d’aider à la nature. Ma tante se porte assez bien, à
quelques migraines près, et ses bontés pour moi sont les mêmes que le premier
jour. Servez vous en, je vous en prie, pour mon cousin, que j’aime beaucoup
malgré la paresse.
Je suis avec un profond respect
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Grimod de La Reynière
PS : permettez que maman trouve ici l’hommage de mon
tendre respect.
* M. Tabareau, Directeur des Postes de Lyon, « homme rare
pour ses qualités du cœur & de l’esprit » (in Moins que rien, p.28)
** trouvé dans l’Almanach Royal de 1791 :
« Salmon, bourgeois, rue des Champs-Élysées, Hôtel La Reynière »,
deuxième électeur de la Section des Champs-Élysées, et premier assesseur de la
justice de paix (justice de proximité) de cette même section. Il s’agit donc, vraisemblablement, du secrétaire particulier de Laurent de La Reynière.
Le déchiffrage de la lettre n’a pas été de tout repos, irritant, même, car quand il le veut, lorsqu'il cite le montant qui lui est "dû", Alexandre sait être parfaitement lisible.
Jugez-en :
Bonne journée à tou(te)s !
Source : la lettre est conservée par la Bibliothèque Nationale de France (Richelieu).
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