mercredi 8 novembre 2017

Vive la marée ! Vive le Hareng !          

Novembre, avec Janvier et Février, est le mois des meilleures marées. Les papilles d’Alexandre s’éveillent, et son odorat aussi : les poissons débarquent en famille à la Halle, qui surpasse dans ce domaine celui de la Vallée – plus réputé pour la viande.

La marée est ce qui frappe les yeux, et ce qui s’empare d’abord de votre odorat, en entrant à la Halle. Tous les monstres de l’Océan, grands et petits, pères et mères, frères et sœurs, enfants même, s’y donnent, chaque matin, un rendez-vous qui n’est jamais interrompu que dans les très-courts jours d’une excessive chaleur. C’est là que l’orgueilleux saumon, le fier esturgeon et le majestueux turbot se trouvent côte à côte avec le merlan modeste, le maquereau patelin et l’humble hareng ; ils y sont réunis non pas ainsi que dans la mer, mais comme nous le serons tous un jour dans l'empire des morts, c’est à dire, dans le sein d’une égalité parfaite.

Le temps nous presse, et forcés de n’indiquer dans ce genre qu’une seule maison, nous nommerons madame Dieu, comme la marchande de marée le plus souvent entourée de monstres. En s’assurant bien de leur fraîcheur l’on sera bien certain de n‘être jamais trompé par elle.


C’est chez madame Dieu, décédée en 1807  au champ d’honneur, c’est à dire sous sa tente, qu’on trouve les meilleurs harengs (madame Des Nœuds étant quant à elle la Reine des poissons d’eau douce), et dépêchez-vous car Novembre est vraiment le mois idéal pour le hareng. 

Petit détail, on apprend au passage qu’Alexandre fait le minutage des cuissons non pas avec un sablier, ou sa montre, mais avec son Livre de prières, qui n’aura jamais autant mérité le nom de Livre d’heures.


Nous devons avertir les friands amateurs que c’est en novembre que les harengs frais arrivent à Paris, et qu’ils sont les meilleurs ; car passé le jour de sainte Catherine, c’est en vain, qu'on y chercherait des laitances, qui, comme l’on sait, sont la partie la plus noble et la plus délicate du hareng, et même la seule qui lui serve de passeport pour être admis sur les tables somptueuses.

Le hareng, qui se pêche en grande quantité tant au printemps qu’à l’automne sur les côtes de la Normandie et de la Bretagne, se divise en frais, salé, et saur ou sauret; mais nous ne nous occuperons ici que du premier, le seul véritablement bon et sain.

La manière la plus ordinaire de le servir, c’est cuit sur le gril, accompagné d'une sauce au beurre, aiguisé de Moutarde fine de Maille, ou de moutarde de santé et odorifère de Bordin. Mais il est essentiel d'observer que ce poisson ne demande qu’à voir le feu pour être cuit. Ce serait vraiment le désobliger et surtout le dessécher que de l’y laisser pendant tout un Pater*. Un Ave lui suffit. Vous pourrez aussi le manger en matelotte, habillé proprement ; mais de toutes manière: ce ne sera jamais qu’un hors-d'œuvre ; car le Hareng n’a point la prétention de s’élever à la hauteur d'une entrée. Si vous voulez absolument en servir de salés , il faut les faire dessaler dans du lait. Mais n’est-ce pas offenser Dieu que d’employer le lait à cet usage ? Passe encore s'il s’agissait de morue.

Le hareng frais est un aliment léger, savoureux, facile à digérer, et qui convient à tout le monde. C’est tout le contraire s’il s’agit du hareng salé, qui ne convient qu’aux hommes le plus robustes ; les autres doivent redouter comme un poison l’âcreté qu’une telle nourriture ne peut manquer de porter dans le sang.
* Pour les non-avertis et/ou les non latinistes : le Pater est le Notre Père, tandis que l'Ave est le Je vous salue Marie. Le premier (276 signes) est sensiblement plus long que le second (209 signes). Nous nous étonnons depuis de nombreuses années que les mouvements féministes ne se soient pas élevées (sic) contre cette inégalité de traitement.


Voilà : le hareng est un compagnon facile à accommoder, économique et délicieux, surtout avant la Sainte Catherine !

Bon appétit !

Sources : Almanach des Gourmands, 1ère et 2ème Année





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