Vive la marée ! Vive le Hareng !
Novembre, avec Janvier et Février, est le mois des
meilleures marées. Les papilles d’Alexandre s’éveillent, et son odorat
aussi : les poissons débarquent en famille à la Halle, qui surpasse dans ce domaine celui
de la Vallée – plus réputé pour la viande.
La marée est ce qui frappe les yeux, et ce qui s’empare
d’abord de votre odorat, en entrant à la Halle. Tous les monstres de l’Océan,
grands et petits, pères et mères, frères et sœurs, enfants même, s’y donnent,
chaque matin, un rendez-vous qui n’est jamais interrompu que dans les
très-courts jours d’une excessive chaleur. C’est là que l’orgueilleux saumon,
le fier esturgeon et le majestueux turbot se trouvent côte à côte avec le
merlan modeste, le maquereau patelin et l’humble hareng ; ils y sont
réunis non pas ainsi que dans la mer, mais comme nous le serons tous un jour
dans l'empire des morts, c’est à dire, dans le sein d’une égalité parfaite.
Le temps nous presse, et forcés de n’indiquer dans ce
genre qu’une seule maison, nous nommerons madame Dieu, comme la marchande de
marée le plus souvent entourée de monstres. En s’assurant bien de leur
fraîcheur l’on sera bien certain de n‘être jamais trompé par elle.
C’est chez madame Dieu, décédée
en 1807 au champ d’honneur, c’est à dire sous sa
tente, qu’on trouve les meilleurs harengs (madame Des Nœuds étant quant à
elle la Reine des poissons d’eau douce),
et dépêchez-vous car Novembre est vraiment le mois idéal pour le hareng.
Petit
détail, on apprend au passage qu’Alexandre fait le minutage des cuissons non
pas avec un sablier, ou sa montre, mais avec son Livre de prières, qui n’aura jamais autant mérité le nom de Livre d’heures.
Nous devons avertir les friands amateurs que c’est en
novembre que les harengs frais arrivent à Paris, et qu’ils sont les meilleurs ;
car passé le jour de sainte Catherine, c’est en vain, qu'on y chercherait des
laitances, qui, comme l’on sait, sont la partie la plus noble et la plus
délicate du hareng, et même la seule qui lui serve de passeport pour être admis
sur les tables somptueuses.
Le hareng, qui se pêche en grande quantité tant au printemps
qu’à l’automne sur les côtes de la Normandie et de la Bretagne, se divise en
frais, salé, et saur ou sauret; mais nous ne nous occuperons ici que du
premier, le seul véritablement bon et sain.
La manière la plus ordinaire de le servir, c’est cuit sur
le gril, accompagné d'une sauce au beurre, aiguisé de Moutarde fine de Maille,
ou de moutarde de santé et odorifère de Bordin. Mais il est essentiel
d'observer que ce poisson ne demande qu’à voir le feu pour être cuit. Ce serait
vraiment le désobliger et surtout le dessécher que de l’y laisser pendant tout
un Pater*. Un Ave lui suffit.
Vous pourrez aussi le manger en matelotte, habillé proprement ; mais de
toutes manière: ce ne sera jamais qu’un hors-d'œuvre ; car le Hareng n’a
point la prétention de s’élever à la hauteur d'une entrée. Si vous voulez
absolument en servir de salés , il faut les faire dessaler dans du lait. Mais
n’est-ce pas offenser Dieu que d’employer le lait à cet usage ? Passe encore
s'il s’agissait de morue.
Le hareng frais est un aliment léger, savoureux, facile à
digérer, et qui convient à tout le monde. C’est tout le contraire s’il s’agit
du hareng salé, qui ne convient qu’aux hommes le plus robustes ; les
autres doivent redouter comme un poison l’âcreté qu’une telle nourriture ne peut
manquer de porter dans le sang.
* Pour les non-avertis et/ou les non latinistes : le Pater est le Notre Père, tandis que l'Ave est le Je vous salue Marie. Le premier (276 signes) est sensiblement plus long que le second (209 signes). Nous nous étonnons depuis de nombreuses années que les mouvements féministes ne se soient pas élevées (sic) contre cette inégalité de traitement.
Voilà : le hareng est un compagnon facile à accommoder,
économique et délicieux, surtout avant la Sainte Catherine !
Bon appétit !
Sources : Almanach
des Gourmands, 1ère et 2ème Année
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