mardi 10 juillet 2018


Juillet, ça peut être aussi de mois des cailles... à la d'Egmont


Juillet, mois des végétariens ? Pas tant que ça ! En fouillant bien dans les Almanachs, on trouve de quoi prouver que, comme souvent, Alexandre dramatise à souhait. Car au sommet du palmarès du mois de Juillet, on trouve tout d’abord les cailles, aussi lascives, ruineuses et - il faut bien le dire- hallucinantes que celles de la Comédie Italienne, et qui arrivent à Paris quand justement, ces dernières s’en vont en villégiature dans la campagne normande. Quelle belle succession de cailles ! Que la nature est bien faite !


Comme souvent, vous avez le choix : lire La Reynière un peu bêtement au premier degré, ou, sur un ton grivois, au second degré. En juillet, le Gourmand...





... se réjouit de l'arrivée des cailles et des cailleteaux de vignes, oiseaux de passage qui nous sont amenés par les vents chauds de la fin du printemps et qu'on ne retrouve plus dès le commencement de novembre. 

Ce ne sont point les qualités morales attribuées à la Caille par les Anciens qui nous arrêteront ici : peu nous importe d'apprendre qu'ils attachaient de grandes vertus à cet oiseau lascif jusqu'au point d'imaginer que la présence d'une caille dans une chambre à coucher y procurait, à l'heureux dormeur, des songes vénériens. Permis à nos Lecteurs et même à nos aimables Lectrices d'en faire dans un moment de viduité* l'innocente épreuve ; mais pour nous, qui nous occupons, dans cet Ouvrage, de jouissances plus solides, nous leur dirons qu'une caille bien grasse, à la broche, bardée d'un frac de lard, et enveloppée d'un surtout de feuilles de vigne, est un rôti des plus recherchés dans cette saison, et digne, par sa délicatesse, de la table des Dieux : aussi cet aimable petit oiseau est-il toujours fort cher à Paris, quoiqu'arrivant dans une saison où la chaleur de l'atmosphère forcerait les factrices de la Vallée d'être traitables, si, pour les cailles, il ne se trouvait pas toujours moins de vendeurs que d'acheteurs. 

Cette rareté, suite nécessaire de l'empressement, soutient donc la caille à un prix qui lui ouvre l'entrée des seules maisons opulentes (1). Un beau rôti de cailles coûte autant que deux poulardes. Mais ce n'est pas seulement au rôti que cet oiseau de luxe paraît, et quoique ce soit là sa plus noble et sa meilleure destination, les cuisiniers savants l'apprêtent encore à la braise, à la poêle, au gratin, en surtout, aux choux, au coulis de lentilles, etc.; et dans les heureux pays où son abondance le rend abordable, comme à Marseille (où les cailles de Montredon sont si recherchées et si dignes de l'être), par exemple , on en fait des tourtes qui, au moyen de ris de veau, de champignons, truffes, lard râpé, moelle de bœuf, poivre assorti et fines herbes, ne le cèdent en rien aux plus savants pâtés de godiveau. 
* viduité : autrement dit, veuvage, signifie, dans un sens figuré, un état d’abandon et de vide moral.

(1) On engraisse à Paris même beaucoup de cailles dans des épinettes, comme des poulets ; quoique moins bonnes que les cailles de vigne , elles n'en sont pas mois chères.

A vous, qui avez eu le mérite de lire ce long passage, une petite récompense : la recette des cailles à la d’Egmont puisque qu’elle avait les préférences de La Reynière, et d’autres Grands Gourmands du début du 18ème Siècle (de Cussy, d’Aigrefeuille, de la Vaupalière**).

Recette des cailles à la d’Egmont

Troussez des cailles et faites-les cuire dans un consommé de volaille, avec du riz et de petites saucisses. Le tout étant cuit, pétrissez avec le riz la chair des saucisses (dont vous avez ôté la peau) ; ajoutez-y un peu de beurre frais. Dressez le riz, et mettez les cailles dessus pour servir en guise de potage.

Bon appétit !!

**Pierre Maignart, marquis de La Vaupalière, premier sous-lieutenant des mousquetaires du Roi, était un joueur invétéré, et donnait des fêtes magnifiques dans son hôtel, 85 rue Saint Honoré, voisin des La Reynière.
Le marquis de Cussy (1766-1837) : élevé au grade de Préfet du Palais puis de Grand Chambellan par Napoléon, et de « premier gastronome de notre âge » par La Reynière dont il était l’ami intime ainsi que de sa concubine, Augusta Ménestrier.
Marquis d’Aigrefeuille : Officier de bouche de Cambacérès, dédicataire du Premier Almanach des Gourmands, élevé au rang de « Roi des Gourmands » par La Reynière.





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