Dîners d'Amis et Dîners par cœur
La période du mois de décembre qui précède Noël étant toute
occupée par les affaires (cf. ici), c’est aussi celle où le gourmand est
confronté, plus que pendant tout le reste de l’année, à deux types de situations
embarrassantes : les dîners d’amis et
les dîners par cœur.
Un Dîner d’Amis est un repas auquel on vous invite soit
parce qu’on ne peut pas faire autrement, soit par vanité, soit pour tout autre
motif, et pour lequel on ne fait aucun frais pour vous bien recevoir.
Les amphitryons parisiens d’aujourd’hui ont trouvé une autre
méthode, sauvés par le téléphone, les mails et les Satanés Messages Succincts
(sms), par lesquels ils vous disent que oui, il faut absolument diner ensemble, je te rappelle [vite][très
vite][très très vite] et tu viens à la maison. Il peut y avoir plusieurs
échanges de ce type, qui font s’écouler les mois sans le moindre dîner, et vous voilà transformé en solliciteur fatigué, voire marri, de ce procédé. Si vous insistez, ou pire encore proposez une date précise, vous passerez pour un parasite.
Votre peine sera alors prolongée soit d’un silence définitif en guise de réponse,
et d’un dîner par cœur (voir plus bas), soit d’une autre date [un peu]
[assez][très][très très][très très très] éloignée, selon le degré
d’insupportation que vous engendrez chez votre interlocuteur. Et quand viendra le
jour dit, la déconvenue risque d’être grande. Car ce que raconte La Reynière du
déroulement d’un diner d’amis n’a que très peu changé.
Un Dîner d’Amis se compose ordinairement de la soupe, du
bouilli, quelquefois même d’un mironton au lieu d’un bouilli neuf, d’un ragoût
de veau ou de mouton fait avec le rôti de la veille, d’un poulet étique à la
broche et d’une salade. Il est rare qu’on y voie des entremets, si ce n’est une
triste omelette ou des œufs au beurre noir, plus tristes encore. Quant au
dessert, il ne consiste guère qu’en un morceau de fromage à demi-rongé…Rarement
du café, jamais d’autre liqueur que l’eau de vie du coin. Le vin, loin de
réparer le reste, est ou du vin de cabaret, ou de celui qu’on a gardé de sa
récolte, qui n’est jamais le meilleur. La conversation est à l’avenant du
Dîner, qu’on a soin de presser, afin d’en sauver le plus qu’il sera possible
pour le lendemain. Et comme ce n’est jamais que malgré soi qu’on donne un
tel dîner, l’on ne s’y montre presque jamais aimable.
Après les diners d’ami, il y a les Dîners par Cœur. Ces dîners, que l’on sent, mais auxquels on n’a
pas accès, étaient une spécialité campagnarde. Il y en avait peu à Paris, au
temps (l’Ancien régime) où le peuple de Paris était aimable et insouciant. Mais la Révolution a changé tout cela, et
les dîners par cœur se sont invités dans la capitale.
Il y a peu de villes où l’on soit moins hospitalier qu’à
Paris, surtout le matin. Vous faites vingt visites, sans qu’on vous offre à
déjeuner, ou si on le fait, c’est de manière à vous ôter l’envie d’accepter. Le
plus sûr est de ne point sortir de chez soi à jeun, sous peine d’y rentrer tel,
à moins qu’on ne se soit arrêté dans un café. Cette inhospitalité tient
peut-être moins encore à l’avarice qu’à la distribution du temps. À Paris,
toutes les affaires se font le matin depuis dix heures jusqu’à quatre. C’est
donc la partie la plus importante de la journée, toutes les minutes en sont
précieuses.
Heureusement, il reste les cafés et les restaurants !
Source : Almanach, 5ème édition, 1807.
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