Célébrer les femmes une fois par an seulement? Quelle idée saugrenue!
À mes amies gourmandes, en cette Journée internationale de
la femme : soyons
honnêtes, beaucoup de propos de La Reynière au sujet des femmes, qui les aimait
tant, et tous les jours, surtout si elles étaient comédiennes, paraissent aujourd’hui proprement
scandaleux ("inappropriés"). Du genre :
Chaque chose dans ce bas monde veut être servie, cueillie
ou mangée à son point ; et, depuis la jeune fille qui n’a qu’un instant
pour nous montrer sa beauté dans toute sa fraicheur, et sa virginité dans tout
son éclat, jusqu’à l’omelette qui demande à être dévorée en sortant de la poêle
(…) il est un instant précis qu’il faut saisir avec adresse.
La Reynière, maitre du double sens, met ainsi en parallèle les plaisirs de la chère et ceux de la chair, point de vue aujourd'hui osé, tant l'exultation du plaisir est désormais suspect. Ce qui l'est moins (suspect), c'est la certitude que La Reynière fut un des premiers, le premier
peut-être, à inclure les femmes dans ses cercles gastronomiques et à les faire
participer à ses « Jurys dégustateurs »; et à
reconnaître, par un principe révolutionnaire, l’égalité des hommes et des femmes
autour d’une table...
Le diner est précédé de deux déjeuners, dont le second,
dit à la fourchette, est d’une respectable solidité ; et dans beaucoup de
maisons de la Nouvelle-France, il est suivi d’une collation en ambigu*, qui,
pour ne commencer qu’à deux ou trois heures du matin, n’en est cependant pas
moins très nutritive. On conviendra qu’il faut des estomacs à l’épreuve de la
bombe pour supporter un tel genre de vie. Aussi nos petites maitresses à vapeur
ont-elles disparu avec l’Ancien Régime ; les beautés robustes du jour
tiennent tête aux mangeurs les plus vigoureux, et déjeunent avec des ailes de
poularde et des tranches de jambon aussi lestement que leurs devancières avec
du thé ou de l’eau de tilleul.
Il est aussi l’un des premiers, sinon le premier, à avoir célébré la femme au point de l'introduire dans la science pâtissière, élan affectueux qui serait peut-être mal perçu aujourd’hui… Rouget père (pâtissier de première classe; père de M. Rouget fils, autre pâtissier de grande renommée; et Chancelier du Jury dégustateur) ne trouvait rien de plus drôle que de se livrer aux inventions les plus succulentes en leur attribuant un nom dérivé de celui d’une comédienne, maitresse plus ou moins passagère d’Alexandre. En toute complicité bien sûr.
L’idée leur vint en dégustant une Fanchonnette,
première création dans un genre qui illustre les liens étroits entre le
Vaudeville et la Gourmandise.
On ne pouvait mieux caractériser cette aimable pâtisserie
qu’en lui donnant un nom qui rappelle l’actrice charmante qui a créé avec tant
de succès, au Théâtre du Vaudeville, le rôle de Fanchon ; et s’il est
permis de comparer une jolie femme avec une pièce de four, on peut dire qu’aux
yeux des friands connaisseurs, les Fanchonnettes sont une image de fraîcheur du
teint, de la délicatesse des traits, et du velouté de la peau, qui distinguent
le visage de madame Henri-Belmont.
Madame Henri-Belmont, grande actrice du Théâtre du
Vaudeville, fut célèbre pour son interprétation de Fanchon, femme
au caractère bien trempé mais dont il n’est pas avéré qu’elle fût une maitresse
d’Alexandre. La Décade Littéraire de 1803 nous indique en
outre que « la véritable Fanchon la vielleuse, après
avoir joui quelques années de sa vogue bizarre et de sa fortune déshonorante
mourut d’un coup d’épée que lui donna un militaire quelque peu brutal pour
punir un soufflet qu’il en avait reçu, et qu’il s’était peut-être
attiré. »
Après les Fanchonnettes, il y eut les Minettes,
du nom de Minette Menestrier dont Alexandre est tombé amoureux alors qu’elle
avait à peine vingt et un ans (et lui près de quarante-cinq !). Rien ne prouve
une liaison mais tout porte à le croire, à moins que ce ne fut avec Augustine,
la cadette de quatre ans), avant qu’elle ne devienne l’amante du Marquis
de Cussy, futur préfet du Palais de Napoléon, et ami indéfectible d’Alexandre
jusqu’à sa mort, quelques semaines avant celle d’Alexandre, en 1837.
Alexandre parle des Minettes
avec émotion dans une page de l’Almanach des Gourmands toute
consacrée à leur baptême. C’était le 16 janvier 1810, lors de la
séance du Jury dégustateur durant laquelle Minette Menestrier a été admise
comme « Sœur » du Jury :
Fins, mignons, sveltes, et respirant le bon goût et
l'esprit par tous les pores, ces Gâteaux ont obtenu l'assentiment général ; et
comme il s’agissait de les baptiser, on a cherché, dans l'assimilation de leurs
qualités avec celles d'une des aimables Candidats de cette Séance, le nom qu'il
fallait leur donner ; en sorte que, d'une voix unanime, le Jury Dégustateur les
a proclamés Gâteaux à la Minette. C'est donc sous ce nom qu'ils ont été
produits dans le Monde ; et quoique non encore annoncés, il s'en fait déjà,
chez M. Rouget, un débit prodigieux. Tout porte à croire que les Gâteaux à la
Minette se placeront un jour à côté de ces aimables Fanchonnettes, imaginées
aussi par M. Rouget, et dont le succès, depuis six ans, ne s'est point encore
démenti.
Les Augustines, en hommage à Augusta Menestrier (qui n'était pourtant pas comédienne) sont citées dans plusieurs
menus conçus par Alexandre, mais il n’a laissé aucune description de cette
autre création de Rouget.
Il y a enfin les Hervinettes,
inspirées par Marie-Anne Renée Adèle Macaire Moreau de Comagni, « Madame Hervey » sur scène. Elle a commencé sa brillante carrière
au Théâtre du Vaudeville, avant de passer à la Comédie-Française en 1819.
Maitresse officielle de Charlemagne Ducret et officieuse de La Reynière (malgré
une différence d’âge d'une vingtaine d'année dans les deux cas), elle eut de l’un ou de l’autre une fille,
Victorine, que La Reynière adoptera en 1812. Elle qui n’a jamais connu de
four sur la scène, a eu les honneurs de celui de M. Rouget. D’un bond gracile
du Théâtre du Vaudeville à celui de la Gourmandise, son nom a franchi les
siècles… grâce à la Pâtisserie de Rouget et à l’inventivité féconde de La
Reynière :
Aucune difficulté n’arrête le Génie, et M. Rouget est
parvenu à nous offrir, dans les Hervinettes, un portrait fidèle de l’Actrice
tout à la fois noble et enjouée, imposante et naïve, profonde et légère,
sensible et folâtre, mais toujours naturelle, toujours vraie, toujours
charmante, dont le talent indéfinissable fait le plus bel ornement du Théâtre
le plus cher aux Gourmands.
Il y eut sans doute d’autres actrices ainsi célébrées en
forme de friandises. Avec La Reynière, La journée des femmes, c’est tous les
jours, comme la gourmandise!
Source : Almanach des Gourmands, 1ère et 7ème année; La Décade littéraire, 1803.
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