jeudi 8 mars 2018

Célébrer les femmes une fois par an seulement? Quelle idée saugrenue!
À mes amies gourmandes, en cette Journée internationale de la femme : soyons honnêtes, beaucoup de propos de La Reynière au sujet des femmes, qui les aimait tant, et tous les jours, surtout si elles étaient comédiennes, paraissent aujourd’hui proprement scandaleux ("inappropriés"). Du genre :
Chaque chose dans ce bas monde veut être servie, cueillie ou mangée à son point ; et, depuis la jeune fille qui n’a qu’un instant pour nous montrer sa beauté dans toute sa fraicheur, et sa virginité dans tout son éclat, jusqu’à l’omelette qui demande à être dévorée en sortant de la poêle (…) il est un instant précis qu’il faut saisir avec adresse.

La Reynière, maitre du double sens, met ainsi en parallèle les plaisirs de la chère et ceux de la chair, point de vue aujourd'hui osé, tant l'exultation du plaisir est désormais suspect. Ce qui l'est moins (suspect), c'est la certitude que La Reynière fut un des premiers, le premier peut-être, à inclure les femmes dans ses cercles gastronomiques et à les faire participer à ses « Jurys dégustateurs »; et à reconnaître, par un principe révolutionnaire, l’égalité des hommes et des femmes autour d’une table...

Le diner est précédé de deux déjeuners, dont le second, dit à la fourchette, est d’une respectable solidité ; et dans beaucoup de maisons de la Nouvelle-France, il est suivi d’une collation en ambigu*, qui, pour ne commencer qu’à deux ou trois heures du matin, n’en est cependant pas moins très nutritive. On conviendra qu’il faut des estomacs à l’épreuve de la bombe pour supporter un tel genre de vie. Aussi nos petites maitresses à vapeur ont-elles disparu avec l’Ancien Régime ; les beautés robustes du jour tiennent tête aux mangeurs les plus vigoureux, et déjeunent avec des ailes de poularde et des tranches de jambon aussi lestement que leurs devancières avec du thé ou de l’eau de tilleul.

Il est aussi l’un des premiers, sinon le premier, à avoir célébré la femme au point de l'introduire dans la science pâtissière, élan affectueux qui serait peut-être mal perçu aujourd’hui… Rouget père (pâtissier de première classe; père de M. Rouget fils, autre pâtissier de grande renommée; et Chancelier du Jury dégustateur) ne trouvait rien de plus drôle que de se livrer aux inventions les plus succulentes en leur attribuant un nom dérivé de celui d’une comédienne, maitresse plus ou moins passagère d’Alexandre. En toute complicité bien sûr.

L’idée leur vint en dégustant une Fanchonnette, première création dans un genre qui illustre les liens étroits entre le Vaudeville et la Gourmandise.

On ne pouvait mieux caractériser cette aimable pâtisserie qu’en lui donnant un nom qui rappelle l’actrice charmante qui a créé avec tant de succès, au Théâtre du Vaudeville, le rôle de Fanchon ; et s’il est permis de comparer une jolie femme avec une pièce de four, on peut dire qu’aux yeux des friands connaisseurs, les Fanchonnettes sont une image de fraîcheur du teint, de la délicatesse des traits, et du velouté de la peau, qui distinguent le visage de madame Henri-Belmont.

Madame Henri-Belmont, grande actrice du Théâtre du Vaudeville, fut célèbre pour son interprétation de Fanchon, femme au caractère bien trempé mais dont il n’est pas avéré qu’elle fût une maitresse d’Alexandre. La Décade Littéraire de 1803 nous indique en outre que « la véritable Fanchon la vielleuse, après avoir joui quelques années de sa vogue bizarre et de sa fortune déshonorante mourut d’un coup d’épée que lui donna un militaire quelque peu brutal pour punir un soufflet qu’il en avait reçu, et qu’il s’était peut-être attiré. »

Après les Fanchonnettes, il y eut les Minettes, du nom de Minette Menestrier dont Alexandre est tombé amoureux alors qu’elle avait à peine vingt et un ans (et lui près de quarante-cinq !). Rien ne prouve une liaison mais tout porte à le croire, à moins que ce ne fut avec Augustine, la cadette de quatre ans), avant qu’elle ne devienne l’amante du Marquis de Cussy, futur préfet du Palais de Napoléon, et ami indéfectible d’Alexandre jusqu’à sa mort, quelques semaines avant celle d’Alexandre, en 1837.

Alexandre parle des Minettes avec émotion dans une page de l’Almanach des Gourmands toute consacrée à leur baptême.  C’était le 16 janvier 1810, lors de la séance du Jury dégustateur durant laquelle Minette Menestrier a été admise comme « Sœur » du Jury :

Fins, mignons, sveltes, et respirant le bon goût et l'esprit par tous les pores, ces Gâteaux ont obtenu l'assentiment général ; et comme il s’agissait de les baptiser, on a cherché, dans l'assimilation de leurs qualités avec celles d'une des aimables Candidats de cette Séance, le nom qu'il fallait leur donner ; en sorte que, d'une voix unanime, le Jury Dégustateur les a proclamés Gâteaux à la Minette. C'est donc sous ce nom qu'ils ont été produits dans le Monde ; et quoique non encore annoncés, il s'en fait déjà, chez M. Rouget, un débit prodigieux. Tout porte à croire que les Gâteaux à la Minette se placeront un jour à côté de ces aimables Fanchonnettes, imaginées aussi par M. Rouget, et dont le succès, depuis six ans, ne s'est point encore démenti.

Les Augustines, en hommage à Augusta Menestrier (qui n'était pourtant pas comédienne) sont citées dans plusieurs menus conçus par Alexandre, mais il n’a laissé aucune description de cette autre création de Rouget.

Il y a enfin les Hervinettes, inspirées par Marie-Anne Renée Adèle Macaire Moreau de Comagni, « Madame Hervey » sur scène. Elle a commencé sa brillante carrière au Théâtre du Vaudeville, avant de passer à la Comédie-Française en 1819. Maitresse officielle de Charlemagne Ducret et officieuse de La Reynière (malgré une différence d’âge d'une vingtaine d'année dans les deux cas), elle eut de l’un ou de l’autre une fille, Victorine, que La Reynière adoptera en 1812. Elle qui n’a jamais connu de four sur la scène, a eu les honneurs de celui de M. Rouget. D’un bond gracile du Théâtre du Vaudeville à celui de la Gourmandise, son nom a franchi les siècles… grâce à la Pâtisserie de Rouget et à l’inventivité féconde de La Reynière :

Aucune difficulté n’arrête le Génie, et M. Rouget est parvenu à nous offrir, dans les Hervinettes, un portrait fidèle de l’Actrice tout à la fois noble et enjouée, imposante et naïve, profonde et légère, sensible et folâtre, mais toujours naturelle, toujours vraie, toujours charmante, dont le talent indéfinissable fait le plus bel ornement du Théâtre le plus cher aux Gourmands.

Il y eut sans doute d’autres actrices ainsi célébrées en forme de friandises. Avec La Reynière, La journée des femmes, c’est tous les jours, comme la gourmandise!

*Petit repas qu’on fait entre les repas, en hâte, en passant, ou par une circonstance quelconque (Littré)

Source : Almanach des Gourmands, 1ère et 7ème année; La Décade littéraire, 1803.


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