Il n’y a plus de saisons !
Un jour c’est l’hiver, un jour c’est le printemps, c’est à n’y rien comprendre. Et c’est compliquer sérieusement la tâche pour un blog tout entier consacré aux liaisons entre Gastronomie et Saisons. Alors face à l’adversité, et en attendant que le temps reprenne ses esprits, une seule solution : l’esquive. Rien sur le Carême aujourd’hui, ce qui ne manquera pas d’en arranger certains ou certaines.
Non, aujourd’hui, j’ai choisi de vous parler d’une merveille qui a marqué non seulement Paris, mais la France, et même l’Europe de l’Atlantique à l’Oural : la construction, par Laurent de La Reynière (le père d’Alexandre) de l’Hôtel rue des Champs-Élysées, à l’angle de la place de la Concorde, à l’époque place Louis XV, puis pendant la Révolution, Place de La Révolution : les La Reynière avaient une vue plongeante sur la guillotine… Alexandre en a vu tomber, des têtes…
Voilà comment j’en parle dans ce roman qui ne paraît toujours pas mais qui finira bien par paraître un jour. Tout y est véridique, sauf les dialogues et le fait que le futur Paul 1er de toutes les Russies, véritablement présent à Paris en mai 1782 sous le faux nom de comte du Nord, ait visité l'hôtel des Champs-Elysées. En tout cas, il l'aurait pu, et ça fait une histoire d'autant plus amusante que dans les années 1820 l'hôtel fut vraiment loué par la Russie pour en faire son ambassade. C'est l'histoire que je raconte dans mon livre, où le vrai et le faux s'entremêlent et se complètent. Ca en déroute certains tandis que d'autres s'en amusent.
Une merveille, que cet hôtel ! Huit années pour le construire et le décorer ! L’architecte Jean-Benoît Barré en a fait un des plus prestigieux bâtiments de Paris. Son luxe a fait l’admiration de tout Paris, et même à l’étranger. Le tsarévitch Paul, futur Paul 1er, l’a ainsi visité incognito sous le faux nom de comte du Nord en mai 1782 – plâtres et fresques étaient encore humides. Il a pu y admirer les plafonds et les boiseries peints par Charles-Louis Clérisseau et Etienne de la Vallée Poussin sur des thèmes inspirés des fresques de Pompéi et d’Herculanum, ou sur la jeunesse d’Achille. « Voilà un genre tout à fait nouveau ! » s’exclame le tsarevitch. « Absolument ! Monsieur de la Vallée appelle cela néo-grotesque, tandis que Clérisseau dit que c’est néo-classique : ils se disputent entre eux. Moi, pour les mettre d’accord, je dis que c’est du style La Reynière ! », s’enorgueillit Laurent.
Paul s’est véritablement ébahi, ensuite, devant les tableaux du petit Cabinet et partout ailleurs dans l’hôtel, « un assemblage précieux et unique en son genre des productions des Écoles françaises, italiennes et hollandaise, assurément une des plus belles collections qu’il soit donné de voir en Europe ! » s’exclame-t-il. S’y trouvent en effet des tableaux capitaux de Vouet (Pan poursuivant Syrinx), sept des plus beaux tableaux que Lemoine ait faits, dont un Pygmalion tout à fait saisissant, un ravissant Sacrifice d’Abraham de La Hire, un remarquable Repos de la Sainte Famille en Egypte de Poussin, un très inhabituel Vénus dans la forge de Vulcain, de Jouvenet, une autre Vénus, la Vénus et l’Amour en grandeur naturelle, de Véronèse, un Paysage de Ruisdael à l’effet piquant, et des pièces tout autant précieuses de Breughel, Greuze, Natoire, Vanloo, Boucher… et tant d’autres peintres encore, par dizaines, tout autant appréciés des collectionneurs. Soudain, Paul a un coup de cœur pour celui-là, dans la Galerie :
- N'est-ce pas là toute la quintessence de l'esprit français? demande le tsarévitch.
- Absolument! Nous le devons au grand Fragonard, répond Laurent de La Reynière, très fier.
- Et comment l'appelez-vous?
- Le Verrou, Prince, le Verrou...
- N'est-ce pas là toute la quintessence de l'esprit français? demande le tsarévitch.
- Absolument! Nous le devons au grand Fragonard, répond Laurent de La Reynière, très fier.
- Et comment l'appelez-vous?
- Le Verrou, Prince, le Verrou...
Et ces vastes baies vitrées à la palladienne, celles qui ouvrent sur les jardins, il n’en avait jamais vues de ce style nouveau. Paul aurait bien racheté les meubles, dont de riches exemplaires en bois d’acajou sortis des ateliers de Boule, des pendules de différents genre et de la plus grande richesse, dorées d’or mat, dont une à carillon, dorée d’or moulu, des girandoles, des flambeaux, des chandeliers, des terres cuites, des porcelaines anciennes du Japon, de Chine et de Sèvres. L’ensemble est vraiment impressionnant !
Paul s’est ensuite promené dans le jardin à l’anglaise qui sépare l’hôtel des jardins des Champs-Élysées. Il a visité, enfin, les écuries, en se demandant de quel métal étaient faites les mangeoires : en argent ? S’il s’écoutait, il ferait bien une proposition d’achat à Laurent de La Reynière, car cet hôtel, ce palais, faudrait-il dire, était digne d’un Tsar. Il a été détruit, hélas, dans les années 1930, pour laisser place à l’anodine ambassade des États-Unis.
Et bien, cette collection merveilleuse a été vendue, dispersée au cours d’un vente aux enchères en Avril 1793. Sept mois avant sa mort (et ce n’est pas qu’une coïncidence), le richissime Laurent de La Reynière était au bord de la faillite. Le pauvre avait abandonné ses charges de fermier général et d’intendant général des Postes pour se faire financier privé – private banker, comme on ne disait pas à l’époque puisque les mots français existent. Ses affaires sont peu connues (certainement pas très bonnes) et la seule sur laquelle des détails nous sont parvenus a fortement contribué à sa ruine. En juillet 1789, il s’est engagé dans une opération plus que douteuse (du blanchiment d’argent, peut-être) avec un banquier de Gênes et une autre de Genève, pour la somme extraordinaire de 1 million de livres. Quelques semaines après, la livre était remplacée par les assignats…
Les deux catalogues de la vente aux enchères sont ici et là. Passionnant. Ils ont été établis par Jean-Baptiste Lebrun, l'époux de la célèbre Elisabeth Vigée-Lebrun, laquelle nous a laissé un portrait piquant de Suzanne de La Reynière, la mère d'Alexandre.
Bonne lecture !
Crédits :
- un grand merci Sonja Vilsmeier, pour m'avoir indiqué les catalogues de Lebrun.
- le tableau accompagnant le texte d'Elisabeth Vigée-Lebrun n'est pas le portrait de Suzanne de La Reynière, mais celui de Marie-Madeleine Mazade, la grand-mère de Laurent (Quentin de La Tour)
Crédits :
- un grand merci Sonja Vilsmeier, pour m'avoir indiqué les catalogues de Lebrun.
- le tableau accompagnant le texte d'Elisabeth Vigée-Lebrun n'est pas le portrait de Suzanne de La Reynière, mais celui de Marie-Madeleine Mazade, la grand-mère de Laurent (Quentin de La Tour)
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