mercredi 29 mars 2017

Suite et fin de l'Histoire des Tables d’Hôte                                                            
Si vous avez apprécié le début, lisez la suite de l’Histoire des Tables d’Hôte et de leurs successeurs, les restaurants, où l’on mange en silence, tristement et isolément, où l’on se promet une difficile digestion, puisque, dit La Reynière, les repas caquetés sont ceux que l’on digère le mieux.

La Révolution changea tout à fait cet ordre de choses. Dès ses premiers instants, tous les lieux de rassemblements publics devinrent de véritables arènes; il était dangereux d'y émettre son opinion sur quoi que ce fût, parce qu'on ramenait tout à la politique. Comme tous les honnêtes gens se trouvaient plus ou moins froissés par le nouvel ordre des choses, s'il leur échappait quelques plaintes, elles étaient métamorphosées en délits révolutionnaires, et l'objet de délations patriotiques que les mille et un Comités des recherches accueillaient avec avidité. Il fallait donc, sous peine d'être dénoncé, dîner en silence et dévorer les outrages dont les patriotes qui s'étaient immiscés dans tous les lieux publics, et qui y dominaient impérieusement, ne cessaient d'abreuver tous ceux qui ne pensaient pas comme eux. Dès ce moment, les Hôtels les plus renommés devinrent de véritables tavernes ; la politesse ne présidant plus aux Tables d'Hôte, chaque service y fut au pillage ; tout homme honnête n'osa plus s'y montrer, et l'appétit des autres ne pouvant s'accorder, il fallut, fermer les Tables d’Hôte. Dès la fin de 1790, on n'en voyait déjà presque plus à Paris.
On pense bien qu'elles ne se rouvrirent point en 1793 ni en 1794, temps où la pusillanimité des honnêtes gens fit toute la force des scélérats, mais où cette force fut telle qu'une poignée de brigands suffit pour inspirer la plus profonde terreur à 24,000,000 de Français , qui se laissaient conduire au supplice comme les agneaux à la boucherie, et dont le courage consistait moins à braver la mort, qu'à l'endurer avec résignation.
Lorsque de la guerre que ces scélérats se firent entr'eux, résulta la cessation de ce carnage, la Terreur fut encore long temps à planer sur nos têtes. On n'égorgeait plus par centaines, on n'emprisonnait plus par milliers, mais la stupeur régnait encore, et régna longtemps ; et la famine qui l'accompagna, n'était guère propre à renouer les liens de la société, et surtout à table. Le 18 fructidor de l'an 5 prolongea encore cette douloureuse situation.
Les Tables d'Hôte ne se rouvrirent donc point alors. On continua d'aller manger isolément et tristement chez les restaurateurs, où chacun, assis à une petite table, et séparé des autres, consomme en silence sa portion, sans se mêler de ce que dit ou de ce que fait son voisin. Si le proverbe qui dit que les morceaux caquetés se digèrent mieux que les autres est vrai, par une conséquence toute naturelle, la digestion de tous ceux qu'on mange chez les restaurateurs, doit être lente et difficile.

Source : Almanach des Gourmands


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