Élément de politesse gourmande (II) : l’heure, c’est l’heure
Déjà en temps normal, la
vie d’un Amphitryon parisien ressemble à l’enfer. Vous invitez vos convives à
20:30, pas un qui n’arrive à l’heure. La faute au métro, au dernier coup de fil
au bureau, à la nounou en retard… la liste est longue. On s’estime heureux
quand tout le monde est là à 21:00. Alors pendant les vacances, ou même quand
les vacances approchent, c’est encore pire. Là, même plus de motif, ce sont les
vacances, ou les vacances qui approchent. Et les Amphitryons de
Province le savent bien : plus on descend dans le Sud, et plus la
fantaisie règne dans les horaires. Alors vous imaginez l'allure du Soufflé,
peut-être un Soufflé de lapereaux puisque c’est la saison, ou celle du Gratin
de macaroni ! Un désastre…
La Reynière a été le premier à développer le
concept de l’instant précis pour la cuisine, comme d’autres en photo, celui du
moment décisif. En Art culinaire, l’instant précis est décisif, de même que
dans l’Art photographique, le moment décisif est précis.
Il est prouvé que chaque chose dans
ce bas monde veut être servie, cueillie ou mangée à son point ; et, depuis
la jeune fille qui n’a qu’un instant pour nous montrer sa beauté dans toute sa
fraicheur, et sa virginité dans tout son éclat, jusqu’à l’omelette qui demande
à être dévorée en sortant de la poêle ; depuis la perdrix, dont le juste
fumet dépend souvent d’une heure de mortification, jusqu’à la timbale de
macaronis qui ne doit faire qu’un saut de la bouche du four à celle du Gourmand,
il est un instant précis qu’il faut saisir avec adresse.
Connaissant la tendance
séculaire des Parisiens à l’approximation question horaires, La Reynière a
établi des règles très précises pour que le Principe fondamental de l'instant précis soit respecté. C’est ainsi, dit-il, qu’il existe à
Paris trois manières de déterminer l’heure, pratiquées afin de n’arriver ni
trop tôt, ni trop tard. « Cinq heures » signifient six heures ; "cinq heures précises", cinq heures et demie ; et "cinq heures très-précises",
cinq heures.
En effet, sous l’Ancien
régime, les Gourmands déjeunaient le matin, vers 9 heures, dinaient à 13
heures, soupaient à 21h00.
Ce n'est que vers la fin de 1789 que
ce régime a changé, et que l'on a reculé le dîner jusqu'à quatre, cinq, et même
six sept heures. Par suite des massacres des 5 et 6 octobre*, que plusieurs de
ses membres avaient organisés, l'Assemblée, dite Constituante, ayant transféré
à Paris le siège de son pouvoir, il fallut régler les repas sur l'heure de ses
séances, qui ne finissaient souvent qu'à quatre ou cinq heures. Dès lors le
dîner fut considérablement reculé, le souper disparut, et les déjeuners à la
fourchette prirent naissance, parmi ceux qui donnaient alors le ton. C'est
ainsi que trois ou quatre cents mauvais avocats de province changèrent tout à
coup nos mœurs et nos habitudes les plus sacrées. Lorsqu'ils imaginèrent
ensuite les séances du soir, ils s'y rendaient en sortant de table, et encore
échauffés par le vin et la bonne-chère. La plupart des Décrets désastreux, et
l'on en compte beaucoup, ont été rendus dans ces séances du soir, qui se
prolongeaient quelquefois fort avant dans la nuit.
*Les émeutes du 5 et 6 octobre 1789 eurent pour
conséquence le retour de Louis XVI à Paris.
Sous le Directoire, ces
horaires ont peu changé : ceux de la Bourse a pris le relai de ceux de la Constituante. Et comme le déjeuner a été déplacé de neuf heures à deux heures, on a inventé le petit déjeuner. Mais c'est une autre histoire qui fera l'objet d'un autre billet.
Alors si l’Amphitryon veut
que tout le monde soit à l’heure pour dîner, cinq heures par exemple, il devra convoquer
les convives les plus fâchés avec la ponctualité à quatre heures, les un peu moins fâchés à
quatre heures et demi précise, et les convives les plus dignes de confiance à
cinq heures très précises.
A cette heure très
précise, les portes sont fermées, et les retardataires devront rentrer chez
eux. D’autant que :
La
plus grande peine que l’on puisse faire à un Gourmand, c’est de l’interrompre
dans l’exercice de ses mâchoires. C’est
donc manquer d’usage et de savoir-vivre que de rendre visite à des gens qui
mangent. C’est troubler leurs jouissances, les empêcher de raisonner leurs
morceaux, et leur causer des distractions fâcheuses
Cet aphorisme est considéré comme l'un de ses plus fameux… Il figure dans la deuxième année de l'Almanach des Gourmands.
Pour le Premier élément de politesse gourmande, c'est ici.
Bonne journée!
Sources :
Almanach, 5ème et 6ème années ; ?.
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