mercredi 19 juillet 2017

Élément de politesse gourmande (II) : lheure, cest lheure              

Déjà en temps normal, la vie d’un Amphitryon parisien ressemble à l’enfer. Vous invitez vos convives à 20:30, pas un qui n’arrive à l’heure. La faute au métro, au dernier coup de fil au bureau, à la nounou en retard… la liste est longue. On s’estime heureux quand tout le monde est là à 21:00. Alors pendant les vacances, ou même quand les vacances approchent, c’est encore pire. Là, même plus de motif, ce sont les vacances, ou les vacances qui approchent. Et les Amphitryons de Province le savent bien : plus on descend dans le Sud, et plus la fantaisie règne dans les horaires. Alors vous imaginez l'allure du Soufflé, peut-être un Soufflé de lapereaux puisque c’est la saison, ou celle du Gratin de macaroni ! Un désastre…

La Reynière a été le premier à développer le concept de l’instant précis pour la cuisine, comme d’autres en photo, celui du moment décisif. En Art culinaire, l’instant précis est décisif, de même que dans l’Art photographique, le moment décisif est précis.

Il est prouvé que chaque chose dans ce bas monde veut être servie, cueillie ou mangée à son point ; et, depuis la jeune fille qui n’a qu’un instant pour nous montrer sa beauté dans toute sa fraicheur, et sa virginité dans tout son éclat, jusqu’à l’omelette qui demande à être dévorée en sortant de la poêle ; depuis la perdrix, dont le juste fumet dépend souvent d’une heure de mortification, jusqu’à la timbale de macaronis qui ne doit faire qu’un saut de la bouche du four à celle du Gourmand, il est un instant précis qu’il faut saisir avec adresse.

Connaissant la tendance séculaire des Parisiens à l’approximation question horaires, La Reynière a établi des règles très précises pour que le Principe fondamental de l'instant précis soit respecté. C’est ainsi, dit-il, qu’il existe à Paris trois manières de déterminer l’heure, pratiquées afin de n’arriver ni trop tôt, ni trop tard. « Cinq heures » signifient six heures ; "cinq heures précises", cinq heures et demie ; et "cinq heures très-précises", cinq heures.

 Cinq heures ? Eh bien oui, en 1806 on dinait à cinq heures (très précises). Et soupait en fin de soirée. A Paris tout au moins. Pourquoi ces horaires ? La faute à la Révolution !

En effet, sous l’Ancien régime, les Gourmands déjeunaient le matin, vers 9 heures, dinaient à 13 heures, soupaient à 21h00.

Ce n'est que vers la fin de 1789 que ce régime a changé, et que l'on a reculé le dîner jusqu'à quatre, cinq, et même six sept heures. Par suite des massacres des 5 et 6 octobre*, que plusieurs de ses membres avaient organisés, l'Assemblée, dite Constituante, ayant transféré à Paris le siège de son pouvoir, il fallut régler les repas sur l'heure de ses séances, qui ne finissaient souvent qu'à quatre ou cinq heures. Dès lors le dîner fut considérablement reculé, le souper disparut, et les déjeuners à la fourchette prirent naissance, parmi ceux qui donnaient alors le ton. C'est ainsi que trois ou quatre cents mauvais avocats de province changèrent tout à coup nos mœurs et nos habitudes les plus sacrées. Lorsqu'ils imaginèrent ensuite les séances du soir, ils s'y rendaient en sortant de table, et encore échauffés par le vin et la bonne-chère. La plupart des Décrets désastreux, et l'on en compte beaucoup, ont été rendus dans ces séances du soir, qui se prolongeaient quelquefois fort avant dans la nuit.
*Les émeutes du 5 et 6 octobre 1789 eurent pour conséquence le retour de Louis XVI à Paris.

Sous le Directoire, ces horaires ont peu changé : ceux de la Bourse a pris le relai de ceux de la Constituante. Et comme le déjeuner a été déplacé de neuf heures à deux heures, on a inventé le petit déjeuner. Mais c'est une autre histoire qui fera l'objet d'un autre billet.

Alors si l’Amphitryon veut que tout le monde soit à l’heure pour dîner, cinq heures par exemple, il devra convoquer les convives les plus fâchés avec la ponctualité à quatre heures, les un peu moins fâchés à quatre heures et demi précise, et les convives les plus dignes de confiance à cinq heures très précises.

A cette heure très précise, les portes sont fermées, et les retardataires devront rentrer chez eux. D’autant que :

La plus grande peine que l’on puisse faire à un Gourmand, c’est de l’interrompre dans l’exercice de ses mâchoires. C’est donc manquer d’usage et de savoir-vivre que de rendre visite à des gens qui mangent. C’est troubler leurs jouissances, les empêcher de raisonner leurs morceaux, et leur causer des distractions fâcheuses


Cet aphorisme est considéré comme l'un de ses plus fameux… Il figure dans la deuxième année de l'Almanach des Gourmands.

Pour le Premier élément de politesse gourmande, c'est ici.

Bonne journée!


Sources : Almanach, 5ème  et 6ème années ; ?.

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