vendredi 28 juillet 2017

Un diner en 1806, comment ça se passe ? (Prologue)       
L’aloyau de sept heures –qui a eu un succès considérable parmi notre auditoire – est par définition un plat du diner. Mais, qu’est ce qu’un diner, en 1806 ? C’est tout d’abord un moment crucial de la journée.

Le Dîner est l'action la plus intéressante de chaque jour, celle dont on s'acquitte avec le plus d'empressement, de plaisir et d'appétit. Il n'y a guère que les sots et les malades qui n'attachent point au Dîner toute l'importance qu'il mérite. Une coquette renoncerait plutôt à plaire, un poète à être loué, un Gascon à être cru sur sa parole, un comédien à être applaudi, un riche Midas à être encensé, que les sept huitièmes des Paris à faire un bon repas. Nous avons toujours été surpris qu'aucun Auteur n'ait traité cette matière avec toute la gravité dont elle est digne, et n'ait écrit philosophiquement sur le Dîner. Que de choses il y avait à dire sur cet acte mémorable qui se renouvelle 365 fois par an !

Oui, que de chose il y a à dire sur les diners ! Le moindre désordre dans la cérémonie sème le désarroi, et bientôt, le désespoir s’installe…

Si, par quelque événement imprévu, par quelque cas fortuit, par quelque circonstance forcée, le moment du Dîner est reculé, seulement d'une heure, voyez comme toutes les mines des convives s'allongent, comme la conversation la plus animée languit tout-à-coup, comme tous les visages se rembrunissent, comme tous les muscles zygomatiques se trouvent paralysés, enfin comme tous les yeux se tournent machinalement vers la salle à manger!
Heureusement, le désarroi n’est que passager, et, comme il est dit dans Les amants trahis, le désespoir n’est que folie (à écouter , à 9 mn et à lire ici). L’Amphitryon annonce le passage dans la salle à manger.
 L'obstacle cesse-t-il, le maître d'hôtel, la serviette sous le bras, vient-il enfin annoncer que l'on a servi, ce seul mot fait l'effet d'un talisman ; c'est une parole magique qui rend à chacun sa sérénité, sa gaîté et son esprit. L'appétit se lit dans tous les yeux, l'hilarité est dans tous les cœurs, et la tumultueuse impatience avec laquelle chacun va prendre possession de son assiette est un signe manifeste et certain de l'unanimité des vœux et de l'accord des sensations. La Nature reprend donc alors tous ses droits, et dans cet instant du jour le flatteur même laisse lire sa pensée sur tous les traits de son visage.
Et voici que le premier plat arrive, un potage…
Après quelques cérémonies, on s'assied, et le silence, d'abord général, atteste la force et l'universalité des sensations. Un potage brûlant (qu'il doit être) ne diminue point l'action générale ; on dirait que tous les palais sont pavés en mosaïque, ou qu’ils jouissent de tous les privilèges de l'Espagnol incombustible*.
* L’espagnol incombustible : désigne Jean Chacon, un aventurier fameux qui avait annoncé qu’il entrerait dans un four plus chaud de dix degrés que les fours ordinaires, et qu’il y resterait jusqu’à parfaite cuisson d’un gigot qu’il tiendrait à la main. Ce n’est qu’après onze minutes passées dans cette situation que, la police étant accourue, l’Espagnol incombustible a été retiré du four, non pas tout-à-fait brûlé, mais dans un état propre à décourager les charlatans les plus intrépides et à détromper les spectateurs les plus superstitieux. (M. Peltier, l’Ambigu, ou variétés littéraires et politiques, volume 14, 1806).

La suite au prochain numéro!


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