Mois d’octobre, mois des
dindes et des dindons
Le dindon est certainement l’un des plus beaux cadeaux
que le Nouveau monde ait fait à l’Ancien.
Cet avis n’est pas de La Reynière, qui l’aurait partagé.
Nous rendons hommage, une fois n’est pas coutume, à son fils spirituel,
Brillat-Savarin. Un fils bien indigne, qui a souvent copié son père sans
rarement l’égaler et jamais le signaler.
Avant de s’appeler dinde, la Dinde s’appelait Poule d’Inde (et non des Indes) et son
époux, le Coq d’Inde. L’usage a simplifié les choses, et la Dinde est
aujourd’hui mariée au Dindon. Leurs fils sont les dindonneaux, jusqu’à ce qu’ils
deviennent dindons eux-mêmes. Par une de ces bizarreries de la langue
française, leurs filles n’ont pas de nom tant qu’elles ne sont pas dindes. « Dindonnette »,
ça n’existe pas. Alors La Reynière les appelle tous simplement « filles »,
bien que toutes les filles ne soient pas des dindonnettes.
La Reynière nous détaille l’historique de ces bons volatiles,
avec un talent qui relègue son fils spirituel en seconde division.
Quiconque aime les dindons (et qui ne les aime pas dans
ce monde?) ne saurait haïr les Jésuites : car c’est, dit-on, à ces bons pères
(qui cependant n’étaient pas dindes) que nous devons l’introduction de cet
oiseau en France, où il n’a pas tardé à s’acclimater au point qu’il y est maintenant
indigène. Les uns le font originaire de l’Inde, les autres de la Numidie ; eh!
qu’importe d’où il vienne, pourvu qu’il soit tendre ! C’est en 1570, aux
noces de Charles IX, que les premiers ont paru ici, et l’accueil qu’ils y ont
reçu en a bientôt multiplié l’espèce. L’art de les élever et celui de les
engraisser sont devenus bientôt des arts utiles et précieux au monde; mais ce
n’a point été sans peine qu’on est venu à bout de les naturaliser français.
Leur éducation est même encore beaucoup plus pénible que celle de tous les
autres habitants de la basse-cour. Leur enfance délicate redoute également le
froid et l’humidité de notre climat nébuleux. Mais une fois sauvés des dangers
de ce premier âge, ils prospèrent à vue d’œil, car leur extrême gloutonnerie
les rend faciles à engraisser, et seconde de tout son pouvoir les vues qu’on a
sur eux. Ils se prêtent donc à merveille aux désirs de l’homme, et acquièrent
en peu de mois l’embonpoint nécessaire au but de leurs instituteurs.
Comme souvent, La Reynière donne de précieux conseils sur :
comment choisir une bonne Dinde ?
Après avoir vérifié qu’elles sont jeunes et tendres, le
premier soin est de s’assurer qu’elles ne sont point amères. Ce secret n’est
pas des plus propres à indiquer ; mais comme il est très-bon à connaître, on
nous pardonnera ce qu’il a d’un peu sale en faveur de ce qu’il a d’utile. Les
dames voudront donc bien ne pas s’effaroucher, si nous disons qu’il consiste à
introduire l’index dans l’anus de l’animal, et à le sucer ensuite avec une forte
aspiration. Ce moyen est immanquable.
Certes, voilà qui n’est guère élégant. Mais quand il décrit
la façon dont la Dinde atterrit sur nos tables, là, il frise le génie.
Ma
fille, serrez les cuisses, tel est le premier mot qu’une mère de famille
dit à l’aînée de ses demoiselles, dès que la dinde est disséquée ; et les
cuisses de voler aussitôt de la table dans le buffet, pour reparaître le
lendemain, soit en rémoulade, soit aux oignons, soit à la sauce à Robert.
Quant à ces fameuses recettes, il est déjà bien tard, et ce
billet est déjà bien long. Ce sera donc pour le prochain billet.
En l’attendant, lavez-vous les mains, allez aux Halles, ou
rue Montorgueil, et choisissez un belle Dinde !
Bonnes courses !
Sources : Almanach des Gourmands, 1ère
année ; Brillat-Savarin, La
Physiologie du Goût.
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