lundi 21 août 2017

Un diner en 1806, comment ca se passe ? (Acte III, Troisième service)

Après tout ce que les Gourmands ont englouti dans les Actes précédents, un appétit aussi abyssal que celui de La Reynière pourrait déclarer forfait. Ne dit-il pas lui-même que :
Les vrais Gourmands ont toujours achevé leur dîner avant le dessert. Ce qu’ils mangent par-delà le rôti n’est que de simple politesse ; mais ils sont en général très polis.

Pourtant, dans un diner digne de ce nom, et des Gourmands aussi polis, ce ne sont pas les desserts qui manquent :
Troisième Service
DESSERTS
Ligne du milieu
Glacière d’Appert – Oranges indigènes – Raisin de Fontainebleau
Lignes latérales
Petit four mêlé – Fanchonnette – Fromage de Gruyère - Brignoles Fortia - Compote de prunes d’Antes – Triumvirat de confitures – Figues gendresses – Biscuit des ivrognes – Compotes des hespérides – Gâteaux à la Minette – Meringues garnies -  Augustines – Fromage de Brie – Panses de Roquevaire – Compote macédoine – Fruits mêlés à l’eau-de-vie – Figues fines d’Olioules –  Fromages de Marolles – Compote de grâces – Anonymes

Vin de Champagne – Vin de Malaga – Vin de pêche d’Alsace
Café joli de Martinique – Café indigène, seulement pour la montre,
Édulcorés avec du vrai sucre d’Amérique
FROMAGE GLACÉ du Café de Foy

Dix-sept sortes de LIQUEURS FINES, tant exotiques qu’indigènes, non compris le kirchwasser de la forêt noire
Crème d’Hémérocalis

PUNCH EXOTIQUE – THÉ AIGUISÉ

*

Ces multiples desserts, tous aussi merveilleux les uns que les autres, peuvent offrir aux Gourmands repus un extraordinaire plaisir pour les yeux :

Qu'offrir à l'appétit après trois services aussi variés ? Le dessert est au dîner ce que la girande est au feu d'artifice ; c'en est la partie brillante, celle qui demande la réunion d'une foule de talents agréables. Un bon officier doit être tout-à-la-fois glacier, confiseur, décorateur, peintre, architecte, sculpteur et fleuriste. C'est dans les repas d'apparat surtout qu'on voit ces talents se développer de la manière la plus étonnante. On a vu des fêtes où la dépense, pour le dessert seul, s'élevait à plus de dix mille écus. Mais comme ce service parle plus aux yeux qu'aux autres sens, le véritable et fidèle Gourmand se contente de l'admirer. Un morceau de fromage altérant ou apéritif est d'un plus haut prix pour lui que toutes ces pompeuses et brillantes décorations.

Mais le feu d’artifice n’est pas terminé ! Hors de question de s’arrêter aux fromages. D'ailleurs  :
Le fromage est le biscuit des ivrognes.

C’est n’est donc qu’une pause bien arrosée en attendant les glaces et les gâteaux. Puis le café :
Les glaces font partie du dessert ; mais c'est encore un art à part, et les habiles glaciers sont presque aussi rares que les bons rôtisseurs. Une savante et parfaite distillation du café, suppose encore un mérite éminent ; mais qui sait lui conserver habilement tout son arôme, et ne lui rien faire perdre de son huile essentielle ? M. de Belloy, auquel on doit l'art de préparer le café sans ébullition. 

Cette boisson est en général mal préparée, même dans les maisons les plus opulentes, et fait souvent que l'on soupire après l'arrivée des liqueurs de M. Le Moine, de M. Noël la Serre, ou de M. Folloppe, qui nous empêchent de regretter celles des Isles, et dont la plupart semblent, par une combinaison admirable, laisser dans la bouche un véritable échantillon de tous les parfums de l'Arabie.

Pour conclure : toujours prodigue en précieux conseils, La Reynière a bien conscience qu’un tel diner dans un restaurant (et non dans ces tables d’Hôte - ici et - que la Révolution a fait disparaître, hélas) ça doit coûter un bras. Heureusement, nous dit-il, il y a dans Paris quelques restaurants, mais très peu, où l’on peut faire bonne chère sans y laisser trop de plumes :

Ce n'est ici qu'un court aperçu d'un plaisir qu'on peut renouveler trente fois par mois. Autrefois, Paris possédait un grand nombre de tables d'hôtes, où, avec une grande activité, et quarante sous tournois, on parvenait à dîner assez bien. Aujourd'hui, les avantages de la bonne chère sont disséminés, à très-haut prix, chez beaucoup de restaurateurs. Nous avons pris soin d'indiquer dans notre Itinéraire nutritif les meilleurs et les plus célèbres. Nous n'y reviendrons donc point ici ; mais, à en juger par les réunions nombreuses qui se forment tous les jours dans les vastes salons de M. Grignon [4 rue Neuve des Petits Champs], de M. le Gacque [7 rue de Rivoli], et au Rocher de Cancale [59 rue Montorgueil], il faut croire que ce sont en ce moment les trois endroits de Paris où il se contracte le plus d'indigestions, et où il est le plus doux d'en prendre.

Qu’on se le dise !

Bonne indigestion !


Source : Almanach des Gourmands 

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