A nos moutonss
Mois de janvier, mois de la viande… Après le Bœuf et le
Veau, La Reynière se penche sur nos amis les moutons. Comme le Bœuf, nombre d’entre
eux arrivent à Paris sur pattes. Et si la viande de mouton ne parviendra jamais
à émouvoir le Gourmand comme peuvent le faire le Bœuf et son fils, tout n’est
pas à rejeter, dans le mouton.
Le Mouton qui arrive par troupeaux à Paris, est bien
inférieur au bœuf et même au veau : il faut le tirer de loin et le faire venir
exprès , si l’on veut l’ymanger excellent ; Celui des Ardennes, de
Cabourg, de Pré-salé et d’Arles, tient, sans contredit, le premier rang. On
peut nommer ensuite celui de Beauvais, de Reims, de Dieppe et
d’Avranches ; mais ceux du Berry, de la Sologne et des environs
de la Capitale, sont en général inodores, et leur chair longue est rarement
tendre. Il n’appartient donc qu’aux hommes opulents, et qui s’occupent
sérieusement de la gloire de leur table (car nous ne cesserons de le répéter, parce
que c’est un axiome qu’il ne faut jamais perdre de vue , l’argent seul ne suffit
pas pour faire excellente chère), de manger cet animal dans toute sa bonté :
mais le Parisien qui n’a point voyagé n'est pas si difficile, et il s’accommode
fort bien du mouton qu‘il trouve à la boucherie. Ceux du Cotentin sont les meilleurs
qu’on y rencontre.
Dans le bas Languedoc, où l’on ne connaît point l’usage
du bœuf, on met le pot-au-feu avec une selle de mouton, qui forme un excellent
bouilli, mais on n’en mange jamais le gigot à la broche, parce qu’on ne sait
pas dans ces contrées ce que c’est que de laisser mortifier la viande. A Paris,
au contraire, le gigot de mouton est le rôti le plus ordinaire des tables
bourgeoises; mais quoique vulgaire, ce mets n’en est pas moins un manger
nutritif et succulent ; surtout si,
attendu comme le ci-devant quine de la Loterie impériale de France, mortifié
comme un menteur pris sur le fait , et sanguinolent comme un Patriote de 1795,
il conserve tout à la fois son goût, sa tendreté et sa succulence : c’est
dire assez qu’il ne doit pas être trop cuit pour être mangé dans toute sa
gloire. De longs ruisseaux de jus doivent sortir de ses flancs lorsqu’ou le
dépèce; et ses tranches, minces et d’un beau rouge incarnat, seront alors
délicieusement savourées par le palais, avant de fournir aux estomacs les plus
délabrés un aliment tout à la fois salutaire et réparateur.
Quant à mouton fils, l’agneau, il est trop tôt pour en
parler, estime La Reynière. Ce sera chose faite en avril, nous promet-il. Ou
plus précisément, pour Pâques.
A vos broches !
Source : Almanach, 1ère Année.
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