Je fais ce que je
veux avec mes bœufs !
Oui, on peut faire beaucoup de choses avec un bœuf. La
première, pour Alexandre, c’est l’aloyau – et plus particulièrement, l’aloyau de janvier et à l'anglaise.
Ces aloyaux bien mortifiés, cuits à l’anglaise, c’est-à-dire saignants, et accompagnés d’une sauce
stimulante, dans laquelle les anchois de maille et les câpres fines tiennent le
premier rang, sont, en cette saison, le rôti qui convient le mieux à une table
nombreuse et affamée.
Le Manuel de Gastronomie de 1825 donne une recette du Bœuf rôti à l'anglaise qui ne vous apprendra certainement pas grand chose, mais donnons-là tout de même : prenez un aloyau de bœuf bien mortifié, parez-le et n'y laissez
que la graisse nécessaire, embrochez-le et le faites cuire de manière qu’en le
coupant la chair soit d'un rose foncé (plus brun, il serait trop cuit);
dressez-le sur un plat avec le jus de la lèche-frite dans une saucière ; mettez
autour du bœuf un cordon de petites pommes de terre cuites à l'eau ou à la
vapeur, et pelées.
Après l’aloyau, La Reynière vante les mérites des bouillis,
qui eux-mêmes servent tant de délices :
Ces mêmes bœufs produisent d’admirables bouillis, surtout
lorsque, songeant moins au potage qu’au plat qui le relève, on préfère la
culotte à la tranche, et la pointe de la culotte à son milieu. Si, pour plus
grande satisfaction, l’on entoure cette culotte de morceaux de choux carrément
coupés, cuits dans une braise savante, séparés par d’épaisses cloisons d’un
lard-embonpoint, et couronnés par des saucisses chipola, on pourra se flatter alors d’avoir un milieu digne de la table
des plus grands Princes, et un bouilli dans tout son luxe. Les consommateurs
plus modestes se contentent de l’enclore d’une muraille de pommes de terre cuites dans un bon jus, et arrosées d’une sauce
au beurre. Ce collier est moins apparent et moins dispendieux sans doute, mais il
n’est pas moins substantiel. Si, aux choux, aux petites saucisses et au lard
précités, l’on joint des colonnes de carottes et de navets, symétriquement
découpés, et incorporés avec eux, alors on aura une véritable chartreuse en
chapelet, ce qui ne laissera pas d’être fort gracieux pour beaucoup d’amateurs.
Dans tous les cas le bouilli doit se manger avec la moutarde
aux câpres et aux auchois du célèbre Maille-Aclocque, ou avec la moutarde de
santé odorifère de Bordin, son savant rival; c’est l’excipient indispensable du
bouilli pendant neuf mois de l’année.
Mais :
Le bœuf ne se borne point à nous offrir l’aloyau et le
bouilli; il est d’une ressource inépuisable pour varier les entrées, et même
les hors-d’œuvres d’une table bien servie. Avec sa queue et de nombreuses
carottes, on forme un hochepot qui, fait avec soin et dressé avec art, présente
l’enchanteur coup-d’œil d’un buisson nutritif. Avec ses palais, on établit, soit
au gratin, soit en pâté-chaud, Pane des entrées les
plus succulentes.
Avec ses entrecôtes bien frottées d’huile, panées et
mises sur le gril (avec poivre et sel seulement), on peut offrir un fort
hors-d’œuvre des plus tendres et des plus aimables. Si vous coupez avec art, en
tranches minces, le filet du dedans de la seconde pièce d’un aloyau, que vous
les couchiez quelques instants sur le gril, et que vous les dressiez sur un
plat chaud, sans autre assaisonnement que des morceaux d’un beurre extrêmement
frais manié de fines herbes, et sans autre entourage que des vitelottes entières,
passées au beurre, vous vous trouverez avoir ce que les Anglais appellent
beefsteak, mets qui forme le principal plat de leur dîner, et qui mérite bien
qu’en temps de paix l’on passe la Manche
pour le connaître. Chez nous, ce
n’est qu’un hors-d’œuvre ; mais lorsqu’il est à son point, il est peu de
ragoûts que l’on puisse lui comparer.
En voilà assez dit sur le génie du bœuf et, une fois n'est pas coutume, de la supériorité de messieurs les Anglais. D'ailleurs, si vous n'avez pas encore pris l'Eurostar, c'est le moment. Vous pourriez faire un tour au Simpson's in the Strand, l'un des plus anciens restaurants de la ville, et des plus élégants aussi : c'est celui du Savoy.
Le Simpson's est réputé pour son véritablement awesome roast beef, le plus souvent servi à la Wellington, pour le prix d'un hamburger dans un endroit hype de Mayfair (35£).
Dans le prochain
billet, nous nous intéresserons au fiston du bœuf, le veau.
En attendant, bon appétit, en France ou à Londres !
Source : Almanach, 1ère Année.
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