mercredi 10 janvier 2018

Je fais ce que je veux avec mes bœufs !
Oui, on peut faire beaucoup de choses avec un bœuf. La première, pour Alexandre, c’est l’aloyau – et plus particulièrement, l’aloyau de janvier et à l'anglaise.

Ces aloyaux bien mortifiés, cuits à l’anglaise, c’est-à-dire saignants, et accompagnés d’une sauce stimulante, dans laquelle les anchois de maille et les câpres fines tiennent le premier rang, sont, en cette saison, le rôti qui convient le mieux à une table nombreuse et affamée.

Le Manuel de Gastronomie de 1825 donne une recette du Bœuf rôti à l'anglaise qui ne vous apprendra certainement pas grand chose, mais donnons-là tout de même : prenez un aloyau de bœuf bien mortifié, parez-le et n'y laissez que la graisse nécessaire, embrochez-le et le faites cuire de manière qu’en le coupant la chair soit d'un rose foncé (plus brun, il serait trop cuit); dressez-le sur un plat avec le jus de la lèche-frite dans une saucière ; mettez autour du bœuf un cordon de petites pommes de terre cuites à l'eau ou à la vapeur, et pelées.

Après l’aloyau, La Reynière vante les mérites des bouillis, qui eux-mêmes servent tant de délices :

Ces mêmes bœufs produisent d’admirables bouillis, surtout lorsque, songeant moins au potage qu’au plat qui le relève, on préfère la culotte à la tranche, et la pointe de la culotte à son milieu. Si, pour plus grande satisfaction, l’on entoure cette culotte de morceaux de choux carrément coupés, cuits dans une braise savante, séparés par d’épaisses cloisons d’un lard-embonpoint, et couronnés par des saucisses chipola, on pourra se flatter alors d’avoir un milieu digne de la table des plus grands Princes, et un bouilli dans tout son luxe. Les consommateurs plus modestes se contentent de l’enclore d’une muraille de pommes de terre cuites dans un bon jus, et arrosées d’une sauce au beurre. Ce collier est moins apparent et moins dispendieux sans doute, mais il n’est pas moins substantiel. Si, aux choux, aux petites saucisses et au lard précités, l’on joint des colonnes de carottes et de navets, symétriquement découpés, et incorporés avec eux, alors on aura une véritable chartreuse en chapelet, ce qui ne laissera pas d’être fort gracieux pour beaucoup d’amateurs.

Dans tous les cas le bouilli doit se manger avec la moutarde aux câpres et aux auchois du célèbre Maille-Aclocque, ou avec la moutarde de santé odorifère de Bordin, son savant rival; c’est l’excipient indispensable du bouilli pendant neuf mois de l’année.

Mais :
Le bœuf ne se borne point à nous offrir l’aloyau et le bouilli; il est d’une ressource inépuisable pour varier les entrées, et même les hors-d’œuvres d’une table bien servie. Avec sa queue et de nombreuses carottes, on forme un hochepot qui, fait avec soin et dressé avec art, présente l’enchanteur coup-d’œil d’un buisson nutritif. Avec ses palais, on établit, soit au gratin, soit en pâté-chaud, Pane des entrées les plus succulentes.

Avec ses entrecôtes bien frottées d’huile, panées et mises sur le gril (avec poivre et sel seulement), on peut offrir un fort hors-d’œuvre des plus tendres et des plus aimables. Si vous coupez avec art, en tranches minces, le filet du dedans de la seconde pièce d’un aloyau, que vous les couchiez quelques instants sur le gril, et que vous les dressiez sur un plat chaud, sans autre assaisonnement que des morceaux d’un beurre extrêmement frais manié de fines herbes, et sans autre entourage que des vitelottes entières, passées au beurre, vous vous trouverez avoir ce que les Anglais appellent beefsteak, mets qui forme le principal plat de leur dîner, et qui mérite bien qu’en temps de paix l’on passe la Manche pour le connaître. Chez nous, ce n’est qu’un hors-d’œuvre ; mais lorsqu’il est à son point, il est peu de ragoûts que l’on puisse lui comparer.

En voilà assez dit sur le génie du bœuf et, une fois n'est pas coutume, de la supériorité de messieurs les Anglais. D'ailleurs, si vous n'avez pas encore pris l'Eurostar, c'est le moment. Vous pourriez faire un tour au Simpson's in the Strand, l'un des plus anciens restaurants de la ville, et des plus élégants aussi : c'est celui du Savoy




Le Simpson's est réputé pour son véritablement awesome roast beef, le plus souvent servi à la Wellington, pour le prix d'un hamburger dans un endroit hype de Mayfair (35£).

Dans le prochain billet, nous nous intéresserons au fiston du bœuf, le veau.

En attendant, bon appétit, en France ou à Londres !


Source : Almanach, 1ère Année.


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