lundi 15 janvier 2018

Les métamorphoses du Veau 
Il n’y a que quelques mois du Veau au Bœuf, mais tout les sépare, ne serait-ce que si le père est voyageur, le fils est encore trop jeune pour l’être :

Le Veau n’a pas besoin de si longs voyages pour se former : sa délicatesse lui prescrit un exercice plus modéré ; d’ailleurs, ce n’est point à pied qu’il chemine, de trop longues courses deviendraient pour lui dispendieuses. Les meilleurs sont ceux de Pontoise, de Rouen (connus sous le nom de veaux de rivière ), de Caen et de Montargis. On en élève aussi dans les environs de Paris, qui ne sont point à dédaigner, et les alentours de Mantes sont couverts de vaches-laitières, dont tout le lait sert à nourrir ces jeunes enfants qui feront bientôt l’ornement de nos tables. Le veau est meilleur à Paris que partout ailleurs, d’abord parce que cette viande y étant toujours chère, on élève avec plus de soin ceux qu’on destine à sa consommation, jusqu’à les nourrir, comme à Pontoise, par exemple, avec de la crême et des biscuits ; ensuite parce que l’on y observe plus strictement qu’en Province les règlements qui défendent de les mettre à mort avant l’âge de six semaines.

Mais si l’on parle casseroles, le Veau bien vaut le père :

Le veau, dans sa condescendance, se prête à tant de métamorphoses que l’on peut, sans l’offenser, l’appeler le caméléon de la cuisine.

Ce n’est pas seulement le corps du veau, sa personne proprement dite, qui fait l’ornement de nos tables : sa tête et ses issues offrent encore une foule de mets succulents…

… depuis les têtes farcies du Puits-Certain (rue du Mont-Saint-Hilaire, actuelle rue Lanneau) aux pieds à la poulette, frits, au gratin &c. en passant par les ris en fricandeau, piqués en fin ; sans oublier le foie, (à la bourgeoise), la fraise (cuite à l’eau et au simple vinaigre), ou les oreilles (frites ou à la poulette, comme la cervelle), qui partagèrent avec les précédents l’honneur de parer notre table, quand notre fortune fut enfin revenue. Ces têtes et ces pieds couraient partout où on les demandait, et l’on pouvait s’en régaler chez soi tout aussi bien que dans les lieux de leur naissance. 

Mais où donc couraient-ils ? 

Chez M. Le Long ! rue de la Joaillerie (elle aussi disparue, près de la place du Châtelet), à l’enseigne du Veau qui tette : son domicile à l'air d'un mauvais cabaret borgne, mais on y mange des pieds de mouton meilleurs que dans des salons dorés!

Où chez M. Simon ! rue Sainte-Anne. Ses veaux de Pontoise, nourris de crème et de biscuits, et dont la blancheur faisait honte à la neige, ne perdaient rien de leur fraicheur en arrivant sur l’étal de cet admirable boucher. Ses veaux y gardaient tant d’éclat qu’il n’était pas prudent, pour les vues délicates, de les fixer avec trop d’attention : les yeux en étaient vraiment éblouis ; ce n’est point une exagération.

Conclusion : pour distinguer le bon Veau du moins bon, il faut se parer de lunettes de soleil, même par mauvais temps, ou même dans le petit trou obscur et toujours si bien garni de poils et de plumes de Madame Chevet, la célèbre Madame Chevet du Palais-Royal. Le procédé est plus délicat que celui indiqué pour les dindes (si vous avez oublié : c'est )

En guise de remerciements pour votre attention, voici la recette de la Tête de veau facies du Puits-Certain :

Désossez une tête de veau bien échaudée,
 et laissez-lui les yeux et la cervelle ; faites bien
 dégorger le tout ; puis mettez cette tête désossée 
dans de l'eau froide ; faites-lui faire un bouillon
 seulement, et mettez la à rafraîchir ; coupez alors 
toute la chair en morceaux ronds de la grandeur 
d'une pièce de cinq francs, à l'exception des 
oreilles et de la langue qui doivent rester entière ; frottez tous ces morceaux avec du citron, et les faites cuire dans un blanc, ainsi que la carcasse que vous aurez enveloppée dans un linge. La carcasse et la langue étant bien égouttées, vous ouvrirez la tête, nettoierez la cervelle et farcirez l'intérieur avec des ris de veau, des champignons et des truffes coupés en petits dés et des quenelles de veau. Arrangez cette farce de manière à ce que le tout ait la forme d'une tête de veau entière; enveloppez-la d'une crépinette de cochon pour qu'elle ne se déforme pas, et faites-la cuire au four ; dressez cette tête sur un plat ovale; placez les oreilles de chaque côté, les morceaux coupés en rond tout autour; versez sur le tout une sauce à la financière, et placez de belles écrevisses autour du plat.

Personnellement, j’ai du mal… Dans le genre abats de Veau, je préfère nettement le Gâteau de foies : 
Pilez un foie de veau ; pilez une égale quantité de lard, un peu de jambon, de la tétine de veau, de la langue à l’écarlate, des truffes et des champignons ; assaisonnez le tout de sel, poivre et muscade ; le tout étant bien mêlé, vous le mettrez dans une casserole que vous aurez garnie de bardes de lard ; vous le recouvrirez avec une feuille de papier beurré ; et vous mettrez la casserole au four ; ôtez-la au bout de quatre heures; laissez-la refroidir; lors que vous voudrez dresser le gâteau, vous ferez chauffer un peu la casserole et vous la renverserez sur un plat ; ôtez les bardes de lard, et entourez le gâteau avec de la gelée.

J’y ajoute un coulis de tomates fraîches au basilic, c’est tout simplement divin !

Allez ! A vos foies, pour une fois !

Sources : Almanach, 1ère Année ; Néo-Physiologie du goût par ordre alphabétique (1839).





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