Les métamorphoses du Veau
Il n’y a que quelques mois du Veau au Bœuf, mais tout les
sépare, ne serait-ce que si le père est voyageur, le fils est encore
trop jeune pour l’être :
Le Veau n’a pas besoin de si longs voyages pour se
former : sa délicatesse lui prescrit un exercice plus modéré ;
d’ailleurs, ce n’est point à pied qu’il chemine, de trop longues courses
deviendraient pour lui dispendieuses. Les meilleurs sont ceux de Pontoise, de
Rouen (connus sous le nom de veaux de rivière ), de Caen et de Montargis. On en
élève aussi dans les environs de Paris, qui ne sont point à dédaigner, et les
alentours de Mantes sont couverts de vaches-laitières, dont tout le lait sert à
nourrir ces jeunes enfants qui feront bientôt l’ornement de nos tables. Le veau
est meilleur à Paris que partout ailleurs, d’abord parce que cette viande y
étant toujours chère, on élève avec plus de soin ceux qu’on destine à sa
consommation, jusqu’à les nourrir, comme à Pontoise, par exemple, avec de la crême
et des biscuits ; ensuite parce que l’on y observe plus strictement qu’en
Province les règlements qui défendent de les mettre à mort avant l’âge de six
semaines.
Mais si l’on parle casseroles, le Veau bien vaut le père :
Le veau, dans sa condescendance, se prête à tant de
métamorphoses que l’on peut, sans l’offenser, l’appeler le caméléon de la
cuisine.
Ce n’est pas seulement le corps du veau, sa personne
proprement dite, qui fait l’ornement de nos tables : sa tête et ses issues
offrent encore une foule de mets succulents…
… depuis les têtes farcies du Puits-Certain (rue du
Mont-Saint-Hilaire, actuelle rue Lanneau) aux pieds à la poulette, frits, au gratin &c. en
passant par les ris en fricandeau, piqués en fin ; sans oublier le foie,
(à la bourgeoise), la fraise (cuite à l’eau et au simple vinaigre), ou les oreilles (frites ou à la poulette, comme la cervelle), qui partagèrent avec les précédents l’honneur de parer notre table,
quand notre fortune fut enfin revenue. Ces têtes et ces pieds couraient partout
où on les demandait, et l’on pouvait s’en régaler chez soi tout aussi bien que
dans les lieux de leur naissance.
Mais où donc couraient-ils ?
Chez M. Le Long ! rue de la Joaillerie (elle aussi disparue, près de la place du Châtelet), à l’enseigne du
Veau qui tette : son domicile à l'air d'un mauvais cabaret borgne, mais on y mange des pieds de mouton meilleurs que dans des salons dorés!
Où chez M. Simon ! rue Sainte-Anne. Ses veaux de Pontoise, nourris de crème et
de biscuits, et dont la blancheur faisait honte à la neige, ne perdaient rien
de leur fraicheur en arrivant sur l’étal de cet admirable boucher. Ses veaux y
gardaient tant d’éclat qu’il n’était pas prudent, pour les vues délicates, de
les fixer avec trop d’attention : les yeux en étaient vraiment
éblouis ; ce n’est point une exagération.
Conclusion : pour distinguer le bon Veau du moins bon, il faut se parer de
lunettes de soleil, même par mauvais temps, ou même dans le petit trou obscur et toujours si bien garni
de poils et de plumes de Madame Chevet, la célèbre Madame Chevet du
Palais-Royal. Le procédé est plus délicat que celui indiqué pour les dindes (si vous avez oublié : c'est là)
En guise de remerciements pour votre attention, voici la
recette de la Tête de veau facies du
Puits-Certain :
Désossez une tête de veau bien échaudée,
et laissez-lui les
yeux et la cervelle ; faites bien
dégorger le tout ; puis mettez
cette tête désossée
dans de l'eau froide ; faites-lui faire un bouillon
seulement, et mettez la à rafraîchir ; coupez alors
toute la chair en
morceaux ronds de la grandeur
d'une pièce de cinq francs, à l'exception des
oreilles et de la langue qui doivent rester entière ; frottez tous ces morceaux avec
du citron, et les faites cuire dans un blanc, ainsi que la carcasse que vous
aurez enveloppée dans un linge. La carcasse et la langue étant bien égouttées,
vous ouvrirez la tête, nettoierez la cervelle et farcirez l'intérieur avec des
ris de veau, des champignons et des truffes coupés en petits dés et des
quenelles de veau. Arrangez cette farce de manière à ce que le tout ait la
forme d'une tête de veau entière; enveloppez-la d'une crépinette de cochon pour
qu'elle ne se déforme pas, et faites-la cuire au four ; dressez cette tête
sur un plat ovale; placez les oreilles de chaque côté, les morceaux coupés en
rond tout autour; versez sur le tout une sauce à la financière, et placez de
belles écrevisses autour du plat.
Personnellement, j’ai du mal… Dans le genre abats de Veau, je
préfère nettement le Gâteau de foies :
Pilez un foie de veau ; pilez une égale quantité de lard,
un peu de jambon, de la tétine de veau, de la langue à l’écarlate, des truffes
et des champignons ; assaisonnez le tout de sel, poivre et muscade ;
le tout étant bien mêlé, vous le mettrez dans une casserole que vous aurez
garnie de bardes de lard ; vous le recouvrirez avec une feuille de papier
beurré ; et vous mettrez la casserole au four ; ôtez-la au bout de quatre
heures; laissez-la refroidir; lors que vous voudrez dresser le gâteau, vous
ferez chauffer un peu la casserole et vous la renverserez sur un plat ; ôtez
les bardes de lard, et entourez le gâteau avec de la gelée.
J’y ajoute un coulis de tomates fraîches au basilic, c’est tout
simplement divin !
Allez ! A vos foies, pour une fois !
Sources : Almanach, 1ère Année ; Néo-Physiologie du goût par ordre
alphabétique (1839).
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