Hommage au Portugal : La Reynière, les bigarades, le Vin Nuptial et le Bishop                                                                                                           

En cette période douloureuse pour nos ami.e.s portugais.e.s, peut-être qu'un peu de quoi distraire un instant est le bienvenu? Qu’aurait fait La Reynière face aux ravages telles que vient d'en connaître le Portugal ? Après un minute d'hommages sincères dans un silence recueilli, de révolte même face à la tragédie venue du ciel, son naturel aurait repris le dessus, car il faut bien se réconforter, et ce Gourmand patenté aurait pensé « bigarades ». Car pour avoir épluché toute son œuvre gustative et googlé dans tous les sens, je peux avancer que pour lui, Portugal = bigarades, ces oranges amères aux vertus multiples, dont la principale est de servir de base à deux de ses alcools préférés : le Vin Nuptial et la Bishop.

La Bigarrade, espèce d’orange aigre, d’un goût particulier et assez agréable, ne s’emploie guère que comme assaisonnement, principalement avec le gibier noir à la broche. On les sert à table entières, avec le rôti, et l’on en exprime le jus sur son assiette. Elles jouent un très-grand rôle dans les entrées et dans plusieurs sortes de ragoûts. Nous avons vu, en parlant des marrons, qu’on prépare avec des marrons rôtis et arrosés de jus de bigarrade, une compote des plus distinguées et des meilleures. La bigarrade est l’âme du bichopp, et c’est surtout à elle qu’il doit son acidité et son parfum agréable. Nous pensons qu’elle entre pour beaucoup aussi dans la confection du Vin nuptial, quoique la recette de cette liqueur soit encore un secret. On prépare avec les bigarrades des glaces assez estimées, et, sous le nom d’eau de bigarrade, une liqueur qui ne l’est pas moins.

Ce Fruit, qui est de la famille des oranges, participe à leurs qualités ; mais comme il est beaucoup plus acide, il est aussi plus astringent, et il faut corriger ces deux qualités, en ne l’employant qu’avec beaucoup de sucres.

Recette du Vin nuptial, un  secret? Pas tant que ça, mais elle cachée dans une édition introuvable des Petites Affiches!

Les dames ont un intérêt particulier à voir l'usage de cette liqueur puisqu'elle est le spécifique assuré pour entretenir la paix dans les ménages, d'une manière singulièrement efficace. Deux onces de sucre, et deux cuillerées de ladite liqueur dans une pinte de vin rouge chauffée jusqu'au 79^ème degré du thermomètre de Réaumur, et voilà le vin nuptial tout préparé.

Pour votre information, 79° Réaumur = 98,75° celsius (c'est-à-dire centigrades). Autant dire que pour faire du Vin nuptial, il faut disposer d'un thermomètre très précis. La Reynière recommandait les thermomètres de la Maison Chevalier, place du Pont-Neuf. On trouve encore aujourd'hui des Thermomètres Chevalier utilisés pour la cuisson jusqu'à 120°.

Recette du Bishopp : celle-là se trouve dans le Manuel des Amphitrons

Si le Vin nuptial a des vertus conjugales insoupçonnées, le Bishop est le compagnon de tous les diners de la Reynière. C'est une sorte de punch aux reflets violets, d’où son nom, qu’il faut laisser infuser une bonne nuit. Traditionnellement, le Bishop fait office de coup d’après, celui qu’on sert après les potages, et dont Alexandre disait qu’ « il met un écu de moins dans la poche du médecin ». Mais, comme Alexandre aimait beaucoup le Bishop, rien n'empêche d'imaginer qu'il le servait en coup d’avant, pour mettre en appétit, puis en coup du milieu, pour l’entretenir, et en coup d’après, puisque c’est la vocation naturelle du Bishop. C'est en tout cas ce que je fais dans mon roman (à paraître, peut-être). En revanche, ce qui suit, il l'a vraiment écrit :

Le bishopp se sert ou chaud, ou à la glace, mais toujours dans des bouteilles, et vers la fin de l’entremet ; mais on ne boit plus de Vins d’entremets lorsqu’on l’a commencé. *

* on sait que le Bishopp ou Bishoff est fait avec de l’excellent vin de Bordeaux, édulcoré avec du sucre, et dans lequel on introduit des bigarrades grillées dont on exprime le jus, de la muscade et de la cannelle. On le boit ordinairement chaud ; quelquefois à la glace. Quand il est bien préparé, c’est une excellente boisson.

Sources : Manuel de l’Amphitryon, Almanach des Gourmands, journal des Petites Affiches.