samedi 17 juin 2017

L’Œuvre gastronomique de Grimod de La Reynière - 1ère mystification : il serait l’inventeur de la critique gastronomique         
Alexandre Grimod de La Reynière, inventeur de la critique gastronomique ? On s’attend alors à un classement des restaurateurs de Paris et des cafés à fréquenter. Rien de cela ! Point d’étoiles, ni de fourchettes, dans sa littérature gourmande. Dans la nomenclature qu’on va lire, nous n’avons prétendu établir aucun rang, soit entre les professions, soit entre les individus. Faute de mécènes pour régler les additions (La Reynière est alors un rentier désargenté), mais surtout par goût, il ne fréquente qu’une poignée de restaurants : Le Jardin anglais, à la Râpée, où règne Madame Richard ;  Le Rocher de Cancale, rue Montorgueil, où officie le célèbre Baleine ; Le Gacque, aux Tuileries ; Donzelle, à qui il n’a à reprocher que le local exigu, situé dans un quartier peu fréquenté des Gourmands, à Saint-Germain-des-Prés. Les autres ? Il ne les connaît que de réputation : nous citerons en première ligne Very, M. Naudet et les frères Provençaux, renommés pour les ragoûts à l’ail et leurs excellentes brandades de merluche. Nous ne connaissons tous ces messieurs que par la renommée. Ce sont ses amis Gourmands qui l’informent, et lui s’intéresse à d’autres aspects des restaurants parisiens : ceux qui les tiennent et ceux qui les fréquentent. Very est vide, La Gacque est plein, Beauvilliers est le rendez-vous des aristocrates.

La Reynière se fait sociologue de la carte gourmande de Paris. Qui sont tous ces restaurateurs ? Pour beaucoup, d’anciens cuisiniers de demeures aristocratiques : Beauvilliers a fait ses classes chez le Comte de Provence. Donzelle est l’ancien cuisinier du Maréchal de Castries qui, ministre de la marine, avait la meilleure table de Versailles.  Robert fit le succès de l’Archevêque d’Aix. Méot officiait pour le duc d’Orléans et Richaud pour le baron de Staël, etc. La Révolution, en mettant à la diète tous ces anciens propriétaires, a mis tous ces bons cuisiniers sur le pavé. Dès lors, pour tirer parti de leurs talents, ils se sont fait marchands de bonne-chère sous le nom de Restaurateurs. On n’en comptait pas trente avant 1789 ; et les érudits en bonne-chère se souviennent encore que le plus ancien des Restaurateurs de Paris, nommé Champ-d’Oiseau ; établi rue des Poulies, ne date que de 1770. Il y en a peut-être aujourd’hui cinq à six fois autant. C’est ainsi donc que se sont successivement établis les Méot, les Robert, les Roze, les Véry, les Léda, les Brigaut, les Le Gacque, les Tailleurs, les Nicolle, les Balaine etc., autrefois marmitons obscurs, et devenus aujourd’hui presque tous millionnaires.

En vérité, ce que La Reynière aime, ce sont les Tables d’hôtes (voir ici), qui proposent des menus fixes aux heures des repas, mais surtout : lieu de rencontres, de partage et de socialisation, où les morceaux caquetés se digèrent mieux, signe que la digestion de tous ce qu'on mange chez les restaurateurs doit être lente et difficile (voir ), car on mange isolément et tristement … où chacun, assis à une petite table, et séparé des autres, consomme en silence sa portion, sans se mêler de ce que dit ou de ce que fait son voisin.
Ainsi la révolution, en démocratisant les restaurants, a aussi démocratisé les indigestions : C’est ce que Grimod nous enseigne.

Le mot même de restaurant n’a rien de bien glorieux, et désigne un  "bouillon reconstituant, fait de jus de viande concentré" : voilà qui n’est pas très excitant. Ce n’est qu’au milieu du 18ème siècle que le mot désigne le lieu où se vend ce bouillon triste et plébéien (mais peut-être est-ce là un pléonasme ?).


Pour les cafés, glaciers et autres limonadiers, même chose que pour les restaurateurs. La Reynière n’en fréquente qu’une poignée, tant sa déception est grande : De tous les cafés montés avec éclat depuis quinze ans, l’on en compterait peut-être pas trois dont les affaires prospères. D’autres languissent en attendant cette ruine totale… Ont grâce à ses yeux le Café de Foy, qui depuis le respectable Jousseran, le père, était monté au premier rang, n’a pas cessé de s’y maintenir… ; le Café Corrazza, qui est aussi très bien fréquenté et fournit de très bonnes marchandises, et quatre autres encore, tous situés dans le Palais-Royal. En dehors de ce périmètre, il n’y a guère que le Café Zoppi, ex-Procope avant de le redevenir, rue de l’ancienne Comédie, et le Café Conti, quai de Conti, qui ne retiennent l’attention d’Alexandre. Et aussi, à l’entrée des Champs-Élysées, M. Mazurier, un véritable inconnu : c’est que Mazurier, ancien domestique de Laurent de La Reynière, loue un local dans l’hôtel de La Reynière et qu’Alexandre a tout intérêt à lui faire la réclame pour s’assurer un locataire solvable.

La suite au prochain billet.

Source des citations : l’Almanach des gourmands, diverses années. 


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