L’Œuvre gastronomique de Grimod de La Reynière -
1ère mystification : il serait l’inventeur de la critique
gastronomique
Alexandre Grimod de La
Reynière, inventeur de la critique gastronomique ? On s’attend alors à un
classement des restaurateurs de Paris et des cafés à fréquenter. Rien de
cela ! Point d’étoiles, ni de fourchettes, dans sa littérature gourmande. Dans la nomenclature qu’on va lire, nous
n’avons prétendu établir aucun rang, soit entre les professions, soit entre les
individus. Faute
de mécènes pour régler les additions (La Reynière est alors un rentier désargenté), mais surtout par goût, il ne fréquente
qu’une poignée de restaurants : Le
Jardin anglais, à la Râpée, où règne Madame Richard ; Le
Rocher de Cancale, rue Montorgueil, où officie le célèbre Baleine ; Le Gacque, aux Tuileries ; Donzelle, à qui il n’a à reprocher que
le local exigu, situé dans un quartier peu fréquenté des Gourmands, à
Saint-Germain-des-Prés. Les autres ? Il ne les connaît que de réputation : nous citerons en première ligne Very, M.
Naudet et les frères Provençaux, renommés pour les ragoûts à l’ail et leurs
excellentes brandades de merluche. Nous ne connaissons tous ces messieurs que
par la renommée. Ce sont ses amis Gourmands qui l’informent, et lui
s’intéresse à d’autres aspects des restaurants parisiens : ceux qui les tiennent et ceux qui les fréquentent. Very est vide, La Gacque est plein,
Beauvilliers est le rendez-vous des aristocrates.
La Reynière se fait
sociologue de la carte gourmande de Paris. Qui sont tous ces restaurateurs ?
Pour beaucoup, d’anciens cuisiniers de demeures aristocratiques :
Beauvilliers a fait ses classes chez le Comte de Provence. Donzelle est
l’ancien cuisinier du Maréchal de Castries qui, ministre de la marine, avait la
meilleure table de Versailles. Robert
fit le succès de l’Archevêque d’Aix. Méot officiait pour le duc d’Orléans et
Richaud pour le baron de Staël, etc. La
Révolution, en mettant à la diète tous ces anciens propriétaires, a mis tous
ces bons cuisiniers sur le pavé. Dès lors, pour tirer parti de leurs talents,
ils se sont fait marchands de bonne-chère sous le nom de Restaurateurs. On n’en
comptait pas trente avant 1789 ; et les érudits en bonne-chère se
souviennent encore que le plus ancien des Restaurateurs de Paris, nommé Champ-d’Oiseau ;
établi rue des Poulies, ne date que de 1770. Il y en a peut-être aujourd’hui
cinq à six fois autant. C’est ainsi donc que se sont successivement établis les
Méot, les Robert, les Roze, les Véry, les Léda, les Brigaut, les Le Gacque, les
Tailleurs, les Nicolle, les Balaine etc., autrefois marmitons obscurs, et
devenus aujourd’hui presque tous millionnaires.
En vérité, ce que La
Reynière aime, ce sont les Tables d’hôtes (voir ici), qui proposent des menus
fixes aux heures des repas, mais surtout : lieu de rencontres, de partage
et de socialisation, où les morceaux
caquetés se digèrent mieux, signe que
la digestion de tous ce qu'on mange chez les restaurateurs doit être lente et
difficile (voir là), car on mange isolément
et tristement … où chacun, assis à une petite table, et séparé des autres,
consomme en silence sa portion, sans se mêler de ce que dit ou de ce que fait
son voisin.
Ainsi la révolution, en démocratisant
les restaurants, a aussi démocratisé les indigestions : C’est ce que Grimod nous enseigne.
Le mot même de restaurant
n’a rien de bien glorieux, et désigne un
"bouillon reconstituant, fait de jus de viande concentré" :
voilà qui n’est pas très excitant. Ce n’est qu’au milieu du 18ème
siècle que le mot désigne le lieu où se vend ce bouillon triste et plébéien
(mais peut-être est-ce là un pléonasme ?).
Pour les cafés, glaciers
et autres limonadiers, même chose que pour les restaurateurs. La Reynière n’en
fréquente qu’une poignée, tant sa déception est grande : De tous les cafés montés avec éclat depuis
quinze ans, l’on en compterait peut-être pas trois dont les affaires prospères.
D’autres languissent en attendant cette ruine totale… Ont grâce à ses yeux le Café de Foy, qui depuis le
respectable Jousseran, le père, était monté au premier rang, n’a pas cessé de
s’y maintenir… ; le Café
Corrazza, qui est aussi très bien
fréquenté et fournit de très bonnes marchandises, et quatre autres encore,
tous situés dans le Palais-Royal. En dehors de ce périmètre, il n’y a guère que
le Café Zoppi, ex-Procope avant de le
redevenir, rue de l’ancienne Comédie, et le Café
Conti, quai de Conti, qui ne retiennent l’attention d’Alexandre. Et aussi,
à l’entrée des Champs-Élysées, M. Mazurier, un véritable inconnu : c’est
que Mazurier, ancien domestique de Laurent de La Reynière, loue un local dans
l’hôtel de La Reynière et qu’Alexandre a tout intérêt à lui faire la réclame
pour s’assurer un locataire solvable.
La suite au prochain
billet.
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