L’Œuvre
gastronomique de Grimod de La Reynière - 2ème mystification :
il ne serait qu’un épicurien indolent (et petit jeu concours)
Si les Almanachs laissent le Gourmand de 1803 démuni de toute une batterie d’étoiles et de fourchettes, qu’y trouve-t-il donc en le
lisant ? Un trésor ! que dis-je… DES trésors d’esprit et de bons
conseils. Car cet Almanach est le fruit d’heures et de jours passés dans les rue de
Paris, depuis 1794, à dégotter les meilleurs Artistes de la bouche, monde qui
va du Boucher au marchand de légume, du marchand de vin au fabriquant d’eau
Cordiale. Puisque manger est une activité physique, il faut de bonnes dents,
donc un bon dentiste. Et comme l’indigestion est un danger qui guette le
commensal à chaque repas, La Reynière n’est pas avare en conseils en matière
d’émétiques, pour bien digérer, et en poudres de perlimpinpin laxatives, pour
lutter contre cet autre mal qu’est la constipation. Et comme encore, le plaisir
gourmand passe par une Table bien dressée, on trouvera dans son chef d'œuvre (qui s'est vendu à plus de 20.000 exemplaires, devançant, et à l'aise, le Génie de Christianisme, autre succès de librairie de l'année 1803, mais de Chateaubriand celui-là) tout ce
qu’il faut savoir pour bien se fournir en mobilier, en serviettes, en couteaux
ou en verres. Parmi ces Artistes, il y a ses préférés et fidèles, de véritables
amis : nous aurons l’occasion d’en dresser quelques portraits.
Travail opiniâtre et sans relâche,
donc, qui infirme la croyance commune que Grimod de la Reynière était un
épicurien indolent. C’est la notre deuxième démystification de La
Reynière.
Et quel à propos !
Avec la Révolution, c’est une armée de bourgeois (les riches d'un jour, ceux-là même qui ont déplumé les aristocrates) ignares, qu’il faut bien éduquer. La Reynière se
fait passeur de culture, dans le domaine des usages de la table et du bien
recevoir : Le cœur de la plupart des
Parisiens opulents s'est tout-à-coup métamorphosé en gésier; leurs sentiments
ne sont plus que des sensations, et leurs désirs que des appétits ; c'est donc
les servir à leur gré que de leur donner, en quelques pages, les moyens de
tirer, sous le rapport de la bonne chère, le meilleur parti possible de leurs
penchants et de leurs écus.
C’est ainsi que la
première Année de l’Almanach est en
premier lieu, dans l’ordre de son déroulé, un Calendrier nutritif. La Reynière y enseigne aux riches du jour, comment
savoir tenir sa table, selon les saisons, et maitriser l’art de
l’approvisionnement : l’argent seul
ne suffit pas pour avoir une bonne table. Tel dépense beaucoup, qui fait très
mauvaise chère. Tel autre avec une fortune médiocre, donne d’excellents dîners.
A ceux-là, il faut bien donner la clé de la réussite : savoir acheter
selon les saisons, d’où l’idée du Calendrier.
Et chez les meilleurs fournisseurs, et au meilleur prix, d’où l’idée de l’Itinéraire qui le suit. Et c’est alors
l’occasion, pour le Vieil amateur qu’il est, de dresser de véritables hommages,
et des plus originaux, aux animaux de la basse-cour, et à leurs cousins
sauvages, à plumes ou à poils. Chaque membre de cette noble compagnie prend,
sous la plume de La Reynière, des allures humaines - le pendant de Balzac, et
sa Comédie humaine, côté
garde-manger, où déboulent avec animation le porc nutritif, le veau
condescendant, le daim léger, le sanglier valeureux, le faon timide, le lièvre
mélancolique. Légumes, fruits, vins, liqueurs et autres boisons, et jusqu’aux
nappes, serviettes, et pastilles purgatives : tout passe sous l’œil
gourmand et amusé de La Reynière. Et, comme la Table est un art complet, il ne
manque pas d’occasions pour mêler ses propos de considérations historiques,
l’époque révolutionnaire étant la principale mais non la seule, et de
références inattendues à Raphaël, Racine, Boileau, les Argonautes, Charles IX
et beaucoup d’autres.
Prenez le temps de lire
cette première Année de l’Almanach (1803) - Almanach
des Gourmands, ou calendrier nutritif servant de guide dans les moyens de faire
excellente chère ; Suivi de l’Itinéraire d’un Gourmand dans les divers
quartiers de Paris, et de quelques Variétés morales, apéritives et
alimentaires, Anecdotes gourmandes, etc.., par Un Vieux Amateur… La langue
de La Reynière y est fabuleuse, délicieuse, onctueuse, colorée, drôle, la
plupart du temps, grivoise, souvent, unique toujours. Pour vous en assurer,
lisez la Physiologie du Gout, de Brillat-Savarin, tellement plus connue de nos
jours que les Almanachs… Non seulement l’ouvrage célèbre de l’avocat vous
paraitra bien insipide par le style, et truffé de considérations qui figurent
déjà, et avec vingt d’avance, dans l’œuvre de la Reynière. De là à parler de
plagiats, il y a un pas que je franchis allègrement, bien que juridiquement,
Brillat-Savarin fait plus œuvre de copiste que de plagieur.…
Un exemple parmi
d’autres :
Le plaisir de la table est de tous les âges, de
toutes les conditions, de tous les pays, de tous les jours ; il peut
s’associer à tous les autres plaisirs et reste le dernier pour nous consoler de
leur perte.
Les plaisirs que procure la bonne-chère sont ceux
qu’on connaît le plus tôt, qu’on quitte les plus tard, et que l’on peut gouter
le plus souvent. Or, pourriez-vous en dire autant des autres ?
Alors voilà un petit-jeu
concours : l’un de ces aphorismes est de La Reynière (1803), l’autre de
Brillat-Savarin (1826). Faites œuvre de bonne paternité, et vous serez
récompensé(e) !
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