mercredi 28 juin 2017

Élément de politesse gourmande (I) : saucer ou pas saucer ?           
Deux Gourmands de mes amis avec qui je célébrais Comus, il y a peu de cela, firent soudain une pause empreinte d’une profonde réflexion - ils étaient au point d’achever leur Tournedos Rossini du jour. Serions-nous chez un Amphitryon d’importance, faudrait-il laisser l’assiette nette ou avec quelques solides ? Tel était leur embarras.

Après enquête approfondie, nul doute, je puis affirmer que la réponse est dans la 3ème partie du Manuel des Amphitryons (1808), consacré à des "Elémens de politesse gourmande", et quoique ce petit Traité de Politesse gourmande ne soit pas d'une grande étendue, nous croyons cependant devoir résumer en peu de lignes ce qu'il renferme de plus important et en offrir la quintescence.

dont cette ligne-ci :

De l'inconvenance qu'il y a de laisser du liquide dans son verre, et du solide dans son assiette.

Par quel moyen? Langue, index, mouillettes, queue du chat ? La Reynière ne le dit malheureusement pas. Mais quand il écrit que…

Aussitôt qu'on a mangé le potage, on se verse environ un doigt de vin pur, c'est ce qu'on appelle le coup d'après. Il n'est cependant pas d'obligation, mais c'est le seul moment du repas où il soit permis de boire, sans eau, du vin ordinaire*, à moins cependant que l'on soit un provincial, ou que l'on ne serve point de vins fins; ce qui n'est guère à présumer dans un grand dîner.

…il en sera déduit qu’il est au moins loisible de saucer l'assiette quand le coup d'après n'est pas pratiquable. Voilà ! CQFD (Ce Qu’il Fallait Déguster) ! Quant aux autres méthodes précitées, nous laissons aux savants le soin d’en débattre.

À ces paroles pleines de bon sens, l’un de mes deux commensaux se renferma, de nouveau, dans un profond silence. Et fit la supplique suivante, en vers fins :
De Vin, ne buvant pas,
- Que Bacchus le permette -
Aurai-je le droit, et par deux fois,
de saucer mon assiette ?

La réponse fut sévère mais juste :
Ah non! Les deux sont associés.
Point de Vin, point de droit à saucer,
Ni votre assiette, ni celle du voisin !
Il va donc bien falloir vous mettre au Vin!


car : 
Il y a trop de Vin dans ce monde pour dire la messe ; il n’y en a pas assez pour faire tourner les moulins : donc il faut le boire. 

et d'autant que : 
Le Vin est, selon beaucoup d’auteurs, le meilleur ami de l’homme lorsqu’on en use avec modération, et son plus grand ennemi si on le prend avec excès. C’est le compagnon de notre vie, le consolateur de nos chagrins, l’ornement de notre prospérité, la principale source de nos vraies sensations

Oui, vous avez bien lu, cette formule que l’on voit affichée partout de nos jours, à tort et à travers, « A boire avec modération », est directement plagiée de la prose de La Reynière, sans que la paternité ne lui en soit jamais attribuée, et sans qu’un euro de droit d’auteur ne soit versé à ses ayants-droits. C’est à vous dégouter d’être en avance sur votre temps.

Sur ce, Amitiés manducatoires** à toutes et à tous.

* le vin ordinaire (notre "vin de table") était, avant le développement de la chaptalisation, à forte acidité et à faible degré d'alcool (5°). Le couper d'eau en diminuait l'acidité - mais non le titre d'alcool. Cette pratique apparait dès les textes mythologiques grecs : le vin pur était réservé aux dieux, et Dionysos, en livrant le secret du vin aux hommes, l'accompagna de son mode d'emploi : il fallait le couper d'eau pour éviter que le chaos ne s'installât sur terre. Il est probable que ses préceptes ne furent que modérément respectés, pas même par lui, puisque son nom tardif, Bacchus, vient du mot baccheuein, signifiant "être animé par le délire", "pousser des cris".

** terme inventé par Grimod de La Reynière et qui a trait à l'art de la Mastication, art qui nécessite beaucoup de temps, et permet, à l'opposé de la gloutonnerie, de caqueter en mangeant, conditions indispensables d'une bonne digestion. 

Sources : Manuel des Amphitryons et Almanach des Gourmands


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