jeudi 13 avril 2017

Les mystères des Œufs de Pâques                                                      

La tradition des « œufs de printemps » remonte à l’antiquité. En Égypte et en Perse, au retour de la saison du renouveau, on s’offrait des œufs de poule en guise de porte-bonheur. Une fois de plus étant coutume, l’Église a récupéré cette tradition sympathique en transformant les œufs de printemps en Œufs de Pâques qui cachent des réalités qui le sont beaucoup moins. Quelques patrons de l’Église, comme Saint Benoît, n'ont pu s'empêcher d'emmerder tout le monde catholique avec un Carême pendant lequel la consommation d’œufs fût interdite, puis tolérée sauf entre le Vendredi saint et le Lundi de la Passion (voir notre chronique du nœuf avril) - avec comme conséquence une envolée du prix des œufs dès le le retour du "gras". Elle a inventé une histoire de martyrs sortis de nulle part, tués à coup d’ova ignita (« œufs brûlants » comme un four à pain ou « œufs ardents » comme un buisson) dont on ne sait strictement rien, preuve que les privations ont un effet débilitant sur le cerveau.

Du temps de La Reynière, il n’y a pas d’œufs en chocolat, il n’en parle donc pas. C’est parce qu’il a fallu attendre 1847 pour que des Anglais futés de Bristol, les trois frères Fry, s’aperçoivent qu’en mélangeant à feux doux du sucre, du beurre de cacao et le chocolat en poudre de monsieur Van Houten (invention qui date elle-même de 1828), on obtient une pâte toute chaude que l’on peut mouler. Avant cette invention, qui allie la benoite simplicité au génie le plus doux, la tradition était celle des "Œufs rouges", et leur dérivé, les "Œufs peints" que l'on offre ou que l'on s'échange dès le jeudi de Pâques, c'est à dire aujourd'hui. Et là, de nouveau, sous la plume de La Reynière, Culture et Gastronomie convergent en un flot unique de pensées savoureuses qui appellent à notre curiosité. Il nous apprend que la tradition des Œufs peints est morte avec la Révolution. La Reynière est ainsi témoin d’une période unique sur laquelle les historiens feraient bien de se pencher : après les Œufs rouges ou peints, mais avant les Œufs en chocolats… Mystère, mystère…

Nous abandonnons aux Savants le soin de remonter à l’origine des Œufs rouges, et d’expliquer par des monuments antiques le motif de cet usage presque immémorial, qui consiste à donner dans la semaine de Pâques des œufs teints de cette couleur. Comme l’usage des œufs est défendu pendant le Carême, et que si l’Église nous permet d’en manger depuis le Mercredi des Cendres jusqu’au vendredi de la Passion, ce n’est qu’une simple tolérance, et pour compatir à notre faiblesse, il se peut que cette couleur donnée aux premiers œufs qu’il soit licite de manger en sortant du Carême soit un signe d’allégresse : ce qu’il y a de sûr, c’est que les œufs seraient moins chers, et les poulets bien plus communs, si l’Église était moins indulgente

Dans les dernières années du règne de Louis XV, on a vu des Œufs rouges être payés qu’à cent écus la pièce. Des artistes habiles s’amusaient à dessiner à la pointe sur ces œufs de charmants tableaux, des paysages, des fleurs, et jusqu’à des scènes historiques. On conserve dans plus d’un cabinet de curieux de ces fragiles monuments. On en a du célèbre Boucher, ce peintre des Amours et des Grâces, auquel on peut reprocher de la manière, sans doute, mais dont le faire était si aimable, si gracieux, et la touche si spirituelle, qu’il passe pour le Dorat de la Peinture. Il est vrai que tous ceux qui ont voulu marcher sur les traces du Peintre comme sur celles du Poète, aucun n’a réussi ; ce qui ne prouve ni contre le talent de ces maîtres, ni même contre le genre qu’ils avaient adopté. Aujourd’hui l’on ne dessine plus sur les Œufs rouges ; ils ont même entièrement passé de mode, et ne se voient guère qu’entre les mains du peuple. Un homme qui présenterait aujourd’hui un panier d’Œufs rouges à une de nos élégantes, la ferait tomber en syncope.

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