mercredi 12 avril 2017

Les Œufs monstrueux : à vos vessies !                                                     
Un beau matin de 1807, La Reynière trouve dans sa correspondance du jour la lettre d’un Gastronomophile. Entre autres propos gustatifs des plus instructifs, elle contient la recette, qu’il dit avoir apprise d’un Saxon, il y a une trentaine d’années, c’est à dire aux alentours de 1777* : celle de l’Œuf monstrueux. Des œufs de la sorte, vous n’en n’avez jamais vu, ni entendu parlé. En exclusivité sur lareyniere.blogspot.fr !
*année tristement célèbre : les vendanges furent tardives et pauvres, annonçant une envolée des prix, et plongeant toute une génération de Gourmands dans un désarroi indescriptible, que nous ne décrirons donc pas.

Vous casserez d'abord deux, trois, ou quatre douzaines d'Œufs, plus ou moins, selon la grosseur de celui que vous voulez procréer, et vous mettrez séparément les jaunes et les blancs. Vous prendrez une vessie de cochon parfaitement bien lessivée, nettoyée et purgée de toute sa mauvaise odeur, et dont la capacité soit égale au volume de tous vos jaunes, que vous verserez dedans. Cette opération faite, et la vessie bien liée par le haut, afin que l'air n'y pénètre point, vous la suspendrez dans un chaudron rempli d'eau bouillante, et l'y laisserez le temps suffisant pour que ces jaunes ne formant plus qu'une masse, se soient tout à fait durcis dans ce bain-marie.
Vous retirerez de la vessie, qu'il faut couper, cette masse qui a pris, grâce à la rondeur du vase, la forme d'un Œuf ; on verse ensuite dans une vessie beaucoup plus grande que la première, les blancs mis à part, et l'on y introduit l'Œuf jaune, qui, par sa pesanteur spécifique, demeurera suspendu au milieu de cette masse glaireuse. Après avoir fortement lié par la partie supérieure, cette seconde vessie, on la plonge entièrement, et on la fixe suspendue dans un grand vase rempli d'eau bouillante ; on l'y laisse jusqu'à ce que les blancs, qui recouvrent entièrement le jaune, soient parfaitement durs. On fend ensuite cette vessie, on en retire un Œuf artificiel, et on le sert sur un lit végétal ou sur une farce de volaille ou de gibier appropriée. En recommençant plusieurs fois cette opération, ou en se procurant un assez grand nombre de vessies, on peut multiplier ces Œufs, et en faire un entremets digne de Gargantua ; car il est facile de voir que cet Œuf peut surpasser en grosseur tous ceux connus sur le Globe.

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